« Antigone donnant la sépulture à Polynice », toile de 1825 de Sébastien-Louis-Guillaume Norblin.
Chant de résistance, hymne à l’éveil des peuples, Antigone, pièce de théâtre culte de la bibliographie de Jean Anouilh, triomphe par son style et son efficacité en un seul acte. Chaque personnage de la pièce pourrait faire l’objet d’un travail tant ils sont intéressants.
Tournure tragique alimentée par une dramatisation immédiate
Dès le début de la pièce, le Prologue annonce la tournure tragique que prendra l’œuvre par sa dramatisation immédiate. La mort guette alors les personnages concernés, notamment Antigone, consciente de sa mort prochaine. Ce destin irrévocable est tout tracé par l’auteur, et entièrement accepté par la fille du roi Œdipe. Le sang qui coule dans ses veines appelle à la résistance. Pourtant, elle a peur que ce courage sanguinaire s’estompe, et c’est pour cette raison qu’elle poussera Ismène et Créon à la conduire vers la mort et à ne pas la contredire. Antigone connaît son destin et sait quand il arrivera, elle veut l’affronter et en subir les conséquences, pour son frère. La dramatisation se contiendra et progressera peu à peu à la vue de différents indices qui permettront au lecteur de comprendre qu'Antigone connaît son sort prochain : les adieux à son bien-aimé Hémon, sa conviction de ne pas vouloir gâcher “ce matin”...
Jean Anouilh fait d’Antigone un personnage plus sensible que ce qu’en avait fait Sophocle en 441 av. J.-C. Antigone, malgré cet élan de révolte et de résistance face au pouvoir absolu du royaume et aux lois divines, semble pourtant affaiblie par son amour pour Hémon qu’elle pleure, par sa relation avec sa nourrice. La tristesse la guette, mais ce n’est pourtant pas ce qui l’empêchera d’aller jusqu’au bout de son acte, emportant avec elle Hémon et sa mère. Créon se retrouve alors seul, baignant dans la solitude.
L’aspect éternel de la pièce et l’importance du Chœur
Le temps est un élément important de la pièce puisque le repos éternel de Polynice est à l’origine de tout. Antigone veut ce repos éternel pour son frère, et pour cela, elle se livre en quelque sorte à son oncle, le roi, et à la loi qui le domine. L’action de la pièce ne contient pas de temps de repos, tant pour nous au vu du nombre d'actes égal à 0, tant vis-à-vis des personnages fictifs puisque l’action démarre le matin pour ne se terminer que plus tard.
Créon, quant à lui, maître du royaume, est celui qui nous convaincra de la véritable nature du statut de roi. Le roi n’est pas uniquement celui qui domine un peuple, car il est lui-même dominé, limité, par la loi qui le gouverne. Lui-même le dit : “Je suis le maître avant la loi. Plus après.” Créon lui obéit et la respecte en mettant fin aux jours d’Antigone.
A-t-il tort ou a-t-il raison ? Ce n’est certainement pas une question à laquelle nous pouvons donner une réponse évidente, mais l’élan révolutionnaire d’Antigone nous pousserait à nous diriger vers une réponse interrogative simple : pourquoi respecter une loi aussi absurde – terme que Créon aime utiliser – quand nous pourrions la délaisser et laisser la vie à un membre de sa famille ?
Le Chœur devient un élément qui se fond dans la masse de la pièce et qui semble communiquer avec Créon à la fin de l’œuvre lorsqu’il emmène sa nièce à la mort. Le chœur crie, souffre, et pleure Antigone.
“Tu es fou, Créon. Qu’as-tu fait ?”
Le Chœur est aussi ce qui vient asséner le coup de grâce à Créon après la mort des deux amants, Antigone et Hémon, en plus de sa femme : “Et tu es tout seul maintenant, Créon”.
L’œuvre de Jean Anouilh est une tragédie marquée par la mort, et la résistance qui vient révolter son lecteur à coups de mots déchirants et motivants. Antigone devient alors la figure de résistance parfaite qui lutte contre un pouvoir n’obéissant qu’à de simples lois divines, délaissées de toute humanité, et absurdes pour certaines. Le livre repose sur une de ces lois absurdes, et cette affirmation permettra de contredire l’une des dernières paroles du chœur : “Et voilà. Sans la petite Antigone, c’est vrai, ils auraient tous été bien tranquilles.” Une rectification s’impose alors : “Et voilà. Sans cette loi débordant d’absurdité, d’inhumain et d’immoral, ils auraient tous été bien tranquilles et reposés.”
Un article de Erwan MAS.
Bravo, belle écriture.
Carine.