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Constellation 

Photo du rédacteurFrançois LUXEMBOURG

D’un idéalisme l’autre

Il existe dans notre monde un certain nombre de problématiques que nul ne peut ignorer. La crise climatique, étayée par de nombreux chiffres implacables ; le risque d’une troisième guerre mondiale ; ou, encore la possibilité d’un effondrement lié au système économique capitaliste font planer des nuages sombres sur notre futur. Etrangement, plus la conjonction des catastrophes est imminente, plus la frivolité est de mise : les idéalistes, à droite comme à gauche, sont toujours plus nombreux dans leur entreprise de camouflage de ce qui est. Petit tour d’horizon des sophistes contemporains.



  Le dispositif spectaculaire contemporain, des médias aux réseaux sociaux, de la télévision aux réseaux de geeks, possède une force hallucinatoire sans précédent : la propagande de tout bord bat son plein. Le philosophe Günther Anders, dès les années 1950, pressentait l’avènement d’un idéalisme platonicien où les spectateurs hébétés se délecteraient d’inanités télévisuelles (L’obsolescence de l’Homme). D’après une définition purement académique, l’idéalisme désigne le primat de l’idée sur les conditions matérielles : « les idées mèneraient le monde » selon l’adage ressassé ad nauseam, et le monde concret serait modifié par celles-ci. Ainsi, cette logique tend à présider les constructions philosophiques des différents éditorialistes, journalistes, ou encore écrivains contemporains. Dans Notre Joie, l’écrivain François Bégaudeau met en avant, à juste titre, ce qu’il nomme « l’idéalisme de droite », celui sur lequel nous comptons nous attarder un moment.

Par « droite », nous entendons une mouvance politique pour qui la modification structurelle de la société capitaliste n’est pas envisageable ou souhaitable : ce que nous nommons extrême-droite, droite, voire gauche sociale-démocrate, recouvrent la défense d’intérêts particuliers. A l’inverse, la gauche authentique tend à socialiser les moyens de production : toute autre définition est bancale et non pertinente.

Ainsi, l’idéalisme droitier nous offre des exemples ragoûtants dont nous aurions tort de nous priver. Commençons par son aile la plus radicale : le « mondialisme » remplace la mondialisation, le « pays réel » hypostasie une France du terroir attachée à ses traditions ancestrales tout en oblitérant l’analyse de classe, le « physique des idées » noie l’argumentation rationnelle dans une forme de nietzschéisme galvaudé. On continue : la « patrie », terre des pères, fait la belle place à l’enracinement dans une terre, le « bon sens » est fauteur de persécutions envers les minorités, la « culture » est utilisée comme faire valoir d’une bourgeoisie old school dont la légitimité sociale est difficile à défendre, ou encore le goût immodéré pour les concepts transhistoriques : LA patrie, LES femmes, LES étrangers, L’assimilation et autres joyeusetés font un tabac monstre au sein d’un peuple atomisé qui s’est délesté du recul nécessaire à toute analyse historique mais surtout à toute conscience de classe.

Or, il ne faut pas l’oublier, l’essentialisme droitier n’épargne pas les autres : LES Anglais sont fourbes, LES Allemands disciplinés, et LA Russie ne sera jamais démocratique, l’âme des peuples exaltée par les romantiques pourfendeurs des Lumières gagnent en popularité notamment par le biais des analyses maintes fois démenties du candidat Eric Zemmour.

Egalement, l’Ecole : institution sanctifiée de façon religieuse, les différents partis de droite y voit un lieu où le mérite peut être effectif : nous l’avons tous entendu, « quand on veut, on peut » (ce que la simple statistique dément). Chantal Jacquet, philosophe, parle de 7 enfants sur 10 qui reproduisent le schéma social de leurs parents en France ; aux Etats-Unis, cela est pire. D’après le Financial Times, 80% des richesses des milliardaires français sont le fruit d’un héritage familial. Le mérite est donc nul et non avenu : nous sommes largement construits par des circonstances sur lesquelles nous n’avons qu’une prise infime. L’Idée du mérite a pour les conservateurs infiniment plus de substance que son application concrète.

Enfin, le vêtement : la droite, liée aux milieux d’argent, a souvent le bon mot pour la mode. Jupes trop courtes, habits religieux trop longs, cheveux longs, idées courtes ou vice versa. Formaliste, ce courant politique a tendance à promouvoir un esthétisme compassé : l’élégance de la Bardot, le Paris populaire baguette/béret quand la population ethniquement homogène n’en menait pas large, les voitures de luxe, le verbe haut et creux. A défaut d’une analyse sérieuse, on va parler de fripes et de belles montres : à la suite des pages rose saumon sur les bénéfices des entreprises, on se plaindra des manquements aux impératifs de la « laïcité » et aux sublimes « valeurs républicaines », qui ont la fâcheuse tendance de n’être jamais définies. En somme, le banquier libéral bon teint partage ses goûts avec le notaire ventripotent de province qui appelle de ses vœux le retour de la monarchie : toujours aux abonnés absents de la question sociale, la droite verse dans un idéalisme qu’ont toujours brocardé Marx et Engels.

Or, il serait dommage de s’arrêter là : le goût pour les régions éthérées de l’esprit est loin d’être l’apanage des droites.

 

C’est celui qui dit qui est


Les différents partisans de la gauche pourrait se satisfaire du paragraphe précédent : naïfs, ils peuvent s’imaginer exempts de tels défauts. Ce serait trop facile.

Sur un plan économique, cela est connu, les sociaux-démocrates ont une tendance à brader le socialisme au profit d’intérêts vils et de court-terme : en faveur de la libéralisation du marché du travail, opportuniste, prête à aller sur le terrain sécuritaire quand elle en ressent la nécessité, parfois colonialiste (pensons aux discours de Jules Ferry), la sociale-démocratie n’en finit pas de s’enfoncer dans l’abjection et la tartuferie la plus crasse. Léo Ferré, connu pour ses provocations, la qualifiait « d’antichambre du fascisme ». L’idéalisme est donc de mise dans sa propagande bien huilée : le réformisme, loin d’agir sur les conditions matérielles, favorisent une culture du compromis au profit de la classe détentrice des moyens de production. Inutile d’y passer plus de temps.

De plus, il est un certain « gauchisme » clairement aérien : souvent péjoratif, ce terme est pourtant défini par Lénine dans sa brochure La maladie infantile du communisme (1920). Le gauchiste désigne le militant si exalté qu’il souhaite brûler les étapes d’un réel changement social : refusant les différentes niveaux de la révolution, ce dernier souhaite « tout, tout de suite », ce qu’indiquait un slogan de Mai 1968 devenu célèbre. Maoïstes, trotskystes et anarchistes sont gauchistes. Les deux derniers groupes, fervents internationalistes, sont connus à la fois pour la « révolution permanente » et pour le spontanéisme des masses populaires : contre les léninistes/staliniens favorables au « socialisme dans un seul pays » pour qui la Révolution se fait pays par pays, ces derniers placent leur espoir dans les travailleurs du monde entier qui peuvent se sauver eux-mêmes, sans l’aide d’une avant-garde éclairée : « producteurs, sauvons-nous nous-mêmes » chantait l’Internationale. Ces conceptions, quoique généreuses et théoriquement motivées, souffrent d’une lacune analytique : les pays sont tous assimilés à des machines purement coercitives, inhumaines, fautrices de guerres entre les travailleurs. Il s’agirait donc d’annoncer la grande parousie socialiste où les ouvriers de tous les pays mettraient à exécution le Grand Soir : cependant, quels exemples historiques peuvent démontrer l’acuité d’une telle conception ? La Commune, la guerre civile espagnole, tentatives valeureuses de réalisation d’un communisme entier, ne se sont-elles pas disloquées par leur absence de colonne vertébrale ? L’absence de gradient dans l’avènement de la société communiste n’est-elle pas vouée en permanence à l’échec ? Le constat est implacable : l’Histoire a infligé un démenti aux utopistes.

A l’inverse, le socialisme peut s’infiltrer par le truchement d’un pays : or, ne nous méprenons pas. Un pays, terre du paysan enraciné, peut être dévoyé ; en effet, un imaginaire nationaliste borné peut l’acculer à un terreau de guerres et de misères. Soyons un peu subtiles : Jean Jaurès ne disait-il pas « un peu d’internationalisme éloigne de la patrie, beaucoup y ramène ? ».

 

Du particulier à l’Universel


S’il n’est évidemment pas question de restaurer les bonnes vieilles méthodes du léninisme, il est sain de sortir des effets de rhétorique qui s’apparentent à des vœux pieux, ce que les anglophones nomment le wishful thinking : être marxiste consiste à reconnaître l’Histoire des Hommes dans son déploiement avec ses strates, notamment celles déposées par les cultures du monde entier. Cet amour de l’Humanité, louable à beaucoup d’égard, n’en est pas moins abstrait : nous parlons tous une langue héritée, la culture ne peut être négligée, et les masses laborieuses ont aussi été façonnées par leur particularisme. Si la droite idéaliste souhaite maintenir celles-ci dans leur état de subordination sociale, en brandissant la dent creuse de « l’identité nationale », le socialisme patriotique peut s’emparer de la question culturelle tout en l’accolant à la lutte des classes. Dans ce processus, le socialisme se bâtit à travers les pays, sans vouloir les réduire en miettes : les mythologies falsificatrices de la grande Révolution messianique doivent laisser place à un réalisme politique qui ne verse pas dans le cynisme du statu quo libéral.




Les idéalismes, dans ce cas-là, font pâle figure face à des citoyens armés, déterminés et animés par l’amour de la patrie égalitaire : entraînés, rodés par un sens de l’honneur aigu, les militants, dont l’étymologie renvoie au « soldat » (miles), s’épanouissent avec force dans le rôle qui leur est dévolu. Dans Le Lion et la Licorne, George Orwell, figure iconoclaste du socialisme, fait l’apologie d’un patriotisme défensif et populaire : en effet, les Anglais, sous la menace nazie, devaient oublier le capitalisme inefficace au profit d’un socialisme militaire et ancré dans les mœurs anglaises. Nous pourrions nous dire, la situation n’est pas la même qu’aujourd’hui : or, c’est oublier que moult  forces politiques violemment réactionnaires prennent le devant de la scène dans plusieurs pays d’Europe. Les thématiques identitaires et religieuses font irruption sur la place publique et remportent souvent un assentiment inquiétant : plutôt que d’adresser des leçons de bienséance concernant l’attitude à adopter quant à la façon dont on doit détester notre pays au profit d’une philanthropie brumeuse, il serait préférable pour les communistes d’épouser la cause de la nation, du moins dans un premier temps. Bien évidemment, le dépérissement de l’Etat et la société sans classes doivent se profiler, mais comme le dit l’adage : « Rome ne s’est pas faite en un jour ».

 

D’un idéalisme l’autre, le maniement du verbe vise à tisser des illusions dont se bercent les songe-creux : le culte du négoce, l’apologie de la superficialité, l’obscénité des narcissismes étroits du nationalisme, et la récusation de l’argumentation rationnelle perd les foules dans les couloirs du spectacle le plus débile. Au moment où « les temps sont flous et les gens sont fous » (Dutronc), pester contre l’idéalisme et bâtir un projet sain et fidèle au communisme est de salubrité publique. Un article de François LUXEMBOURG.

 

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