Si le premier film d’Artus « Un petit truc en plus » a fait un carton auprès du grand public, nous avons également été témoin du badbuzz initial autour du festival de Cannes. Cela m’a fait écho à ma propre expérience professionnelle, à tout ce que j’ai pu voir et entendre au sujet des personnes en situation de handicap que j’accompagnais.
Ancienne éducatrice, j’ai travaillé durant dix ans auprès de personnes en situation de handicap dans différents foyers. Force est de constater qu’en 2024, beaucoup trop de minorités sont encore malmenées par une tolérance de façade. Complétement invisibilisées dans notre société, les personnes en situation de handicap sont peu respectées et parfois même déshumanisées.
Si nous avons côtoyé dans nos vies de près ou de loin des personnes en situation de handicap, les personnes les plus engagées restent avant tout les personnes concernées, ayant un frère, une sœur, un enfant dans cette situation. Car pour le reste, difficile de croiser des personnes en situation de handicap. La plupart des foyers sont installés à la périphérie des villes, « au calme » donc. Intégration, inclusion, des grands mots qui commencent à prendre forme il est vrai, mais le chemin est encore long. Dans une société du paraître, chacun de nous est sensible au regard de l’autre. J’ai véritablement perçu et compris ce qu’était le poids du regard des autres.
Ce jour-là, durant mon premier séjour adapté pour Noël, je suis partie au supermarché, une scène ordinaire. Accompagnée de sept personnes en situation de handicap, j’ai été surprise par la réaction des gens. Je ne cesse de m’interroger sur ces sorties quotidiennes de groupe, où l’on nous parle d’inclusion. Qui fait ses courses quotidiennes en groupe de neuf personnes ? Toujours est-il que pour le coup, nous ne passons pas inaperçus, tout le monde nous remarque et c’est peu dire. Quel constat déplorable de devoir faire face une fois de plus à la méchanceté humaine ! Combien ont-ils été à changer de rayons à la vue de notre venue, détourner le regard ou même rire ouvertement devant nous. Est-ce l’ignorance qui engendrent peur et méfiance chez l’autre se manifestant par l’indifférence ou la méchanceté. Mais peur de quoi ? De qui ? L’imaginaire collectif du schizophrène agressif nous hante et ne sert pas la cause.
Mais je ne vous apprends rien en vous disant que le handicap n’est pas contagieux, ni sale. En travaillant auprès de ces personnes en les accompagnant au quotidien, je n’ai jamais été aussi heureuse de ma vie, jamais sentie aussi libre et vivante. Avec eux, pas de faux semblant et les barrières tombent très vite. Bien sûr que le métier n’est pas toujours évident et que nous traversons des moments difficiles et compliqués mais la plupart du temps c’est du bonheur.
Cette première expérience m’a profondément marquée et cela n’a pas été la seule. Combien de restaurants ont refusé ou annulé nos réservations, nous ont dit qu’ils étaient complets devant une salle vide ? Cette discrimination, nous l’avons vécue aussi dans les cinémas. Et puis, quand on arrive à faire une activité, à vivre un semblant de vie comme les autres, c’est entendre des parents rire et dire à leurs enfants : « Pousse-toi, laisse passer les gogoles ». Et oui, le handicap répugne, dégoûte.
Enfin le handicap mental, car il semblerait avoir une hiérarchie aussi dans les différents handicaps que nous pouvons rencontrer. Une personne en fauteuil roulant semble imposer un minimum de respect aux personnes qui la croise. Un enfant en situation de handicap touche nos cordes sensibles. Quant aux personnes vieillissantes (quand elles y arrivent) sont considérées comme des papis et mamies, un peu bizarres mais sympas. Mais être un adulte en situation de handicap mental ou psychique c’est être tout en bas de l’échelle. Le « fou du village » a remplacé « le mongol » de l’ancien temps.
Ne parlons pas des personnes présentant un trouble du spectre autistique appelées plus communément « autiste ». Ces « ados sauvages » qu’on ne veut surtout pas croiser. Mais savez-vous qu’ils sont humains avant tout ? Savez-vous ce que c’est d’avoir un proche qui n’a pas les mêmes codes du langage que vous, qui ne dort pas la nuit, que rien ne semble apaiser par moment ? Moi non plus, je ne le sais pas. Mais j’ai vu la détresse et la solitude de ces familles. Ces mamans qui ramènent leurs grands enfants au foyer en pleurs et nous disant : « C’est mon fils, je l’aime plus que tout mais aujourd’hui, je ne peux plus. ». C’est toutes ces mamans (le plus souvent) qui assument leur journée de travail après des nuits blanches à s’occuper de leurs enfants. Ces toutes ces mamans en burn-out après être arrivé au bout du bout, ou qui arrêtent de travailler pour leurs enfants et qui se disent nulles ou faibles alors qu’elles sont tout le contraire. Toutes ces situations qui rendent leur vie toujours un peu plus précaire. Ce sont tous ces parents vieillissants qui préparent l’après, en cherchant désespérément une place en foyer après avoir assumé toute leur vie leurs enfants : « Quand on ne sera plus là, qui s’occupera d’eux ? ».
Derrière chaque personne en situation de handicap que vous croisez, se cache un énorme parcours du combattant, des vies parfois brisées. S’il vous plaît, un peu d’humanité. Je repense toujours à ce jeune « autiste » du foyer où je travaillais, croisé seul dans un bus de ville. Le bruit répétitif des bornes m’interpelle ce jour-là . Il faisait des aller et retour en scannant sa carte à toutes les bornes et ce à chaque passage. La réaction des passagers fut immédiate. Tout le monde le regarde, certains sont soulagés de ne pas avoir de place libre à leur côté, d’autres mettent vite des sacs sur les places libres. Voulant m’assurer qu’il ne s’était pas perdu et en attendant le retour de mes collègues, je me renseigne auprès du conducteur de bus. Ce dernier me répond alors que des « ‘pimpims’ il en voit tous les jours et qu’il n’a pas que ça à faire de regarder qui monte quand. »
Des scènes de vie comme celle-là qui peuvent paraître ordinaires, banales, il en existe tellement d’autres. Avec les coiffeurs, avec les propriétaires de gîtes mais surtout avec toutes les personnes que nous croisons lors de nos sorties. Je ne cherche à accuser personne ici, ni me considère comme porte-parole de quiconque et ne prétend pas détenir la vérité absolue sur le sujet. Mais l’actualité m’a donné envie d’écrire, de partager un petit peu de mon vécu, d’écrire et de mettre quelques mots dessus. Que la vie est tellement compliquée pour nous tous, que nous nous devons de nous soutenir au quotidien qui que nous soyons, connaissance ou rencontre éphémère. Dans un monde où il est de plus en plus difficile de vivre, nous devons reprendre les reines et faire vivre cette fraternité. Tout commence avec un sourire jusqu’à la rencontre et parfois allant jusqu’à l’entraide et le don de soi.
Un article de RORÉ.
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