L’artiste Roni0block revient en force avec le clip « F2P » — comprenez « fils de p*te » — et offre un regard, à la fois lucide et poétique, sur la violence des favelas.
Du Black Pearl à la Piraterie
Roni0block est un rappeur venu du Luv Mob, un groupe d’artistes, formés aux côtés du feu poète Luv Resval. Talentueux et doté d’une patte artistique singulière, Roni a su se démarquer et s’est fait repérer par Booba. Il a quitté l’écurie du Chevalier 696 et trace désormais son chemin aux côtés du Pirate du Rap, dans l’équipage 92i.
Originaire du Brésil, Roni offre un regard à la fois lucide et poétique sur la violence des favelas. Il signe ainsi une œuvre à la beauté picturale rare, portée par son flow entêtant et sa douceur mélodique.
Le clip a été réalisé par Loïc Foulon et produit par la compagnie Kaïros. Il est tout simplement sublime.
Spoiler Alert : regardez le clip avant de lire la suite de l'article.
La violence des favelas, la poésie de la calle
Un clair-obscur symbolique se distille dans ce film. Entre lumières et ténèbres, entre prison et liberté, entre renaissance et mort, la vie dans la calle est un oxymore.
Ce clip dépeint sans détour, la violence des favelas, et les rêves brisés de ceux et celles qui y vivent… Il raconte l’obscurité de ces vies en proie à la misère, la tristesse de s’endormir chaque jour, en contemplant un avenir incertain. Il raconte l’insouciance des petits face à la cruauté des grands. La douceur de l’amour au cœur du néant.
« F2P » est un clip magnifique qui se démarque par ses contrastes, se révélant ainsi comme un bel oxymore. Un oxymore qui se veut métaphore. Le tout est sublimé par des plans alléchants d’une beauté vertigineuse, bercée par une musique apaisante aux notes jazzy. Ce clip somptueux est une poésie.
Des contrastes enchanteurs : un oxymore symbolique
La violence de la rue contraste avec la douceur de la mélodie. Une ambiance jazzy et poétique dans un décor sombre et inquiétant. On voit le sang, les armes, les bastonnades… Le meurtre est raconté. La violence est dépeinte de façon crue et poétisée.
Dans ce paysage sombre, certains objets se démarquent par leur clarté particulière. Certains êtres émettent une lumière singulière, blanche, translucide, diaphane : on contemple tour à tour, les chaînes d’une prisonnière, les ailes d’un ange, un oiseau en cage… Mais aussi un glock (pistolet) sur le point d’être utilisé… Puis un bébé dans les bras de sa mère. La lumière émane d’êtres innocents ou d’objets destructeurs, comme pour révéler la noirceur de ce monde, mais aussi la lumière éclose des ténèbres. Cette noirceur empreinte de lucidité révèle le désir de l’artiste, de dénoncer, ou du moins de souligner, cette absurdité existentielle, propre à la cruauté de la vie.
Le bébé symbolise la vie et la renaissance. L’oiseau en cage est une allégorie de la liberté, de l’espoir de s’envoler, de s’échapper.
En distillant une lumière singulière dans un monde obscur, Roni0block raconte sa volonté de s’échapper, son désir de s’envoler.
Il y a aussi ce contraste notable entre l’étendue du ciel et l’étroitesse des pièces, comme pour dire… The Sky is the limit.
Contempler le monde, du haut de la Tour de Babel
On voit un homme masqué se regarder dans un miroir, mimant la forme du glock avec son poignet, pointant son reflet pour tirer sur la gâchette : un coup qui arrive à bout portant, pour signifier que l’ennemi premier, n'est autre que soi-même. L’artiste transmet ainsi un message essentiel : se battre contre ses démons, ne l’empêchera pas de déployer ses ailes, et de s’envoler vers le ciel. Son seul ennemi, c’est lui-même, et rien ne l'empêchera de réaliser ses rêves. Ce message est pour nous, une invitation à croire en soi et à se dépasser.
Le clip illustre la violence de la rue et raconte les rêves brisés par la misère, tout en célébrant ce désir viscéral de s’en sortir, de réussir, de s’envoler et de s’élever vers les sommets. C’est sans doute pourquoi les favelas se révèlent être une tour de Babel.
Roni semble contempler le monde du haut de la tour de Babel — ou tour d’ivoire — aux côtés de sa dulcinée. Sont-ce les favelas vues de la Tour de Babel ? Ou alors la Tour de Babel vue des favelas ?
Un chef d’œuvre visuel, un diamant pictural
Quoi qu’il en soit, j’ai un énorme coup de cœur pour cette ambiance cinématographique où l’on reconnaît la signature de Booba. Certains plans, certaines scènes, me font penser à la poésie visuelle de Kendrick Lamar (Element). « F2P » est une allégorie de l’espoir et de la liberté.
Je suis séduite par ce contraste étonnant qu’offre le vertige céleste, face à l’enfermement des buildings. J’ai un énorme coup de cœur pour ce saxophoniste qui joue au milieu des ciels, du haut de la tour de Babel. Chaque plan est une peinture, dont on ne cesse de se délecter. Un tableau exquis, fait pour nous enchanter.
Sublime, subtil… Cette œuvre a subtilisé mon cœur. On y retrouve la poésie et la délicatesse de Booba, à l’état pur.
Des favelas à la Porte du Ciel : un épisode biblique dans La Cité de Dieu
Les plans, les couleurs, la photographie, la colorimétrie… C’est du grand art… Mention spéciale pour le saxophoniste céleste, dont la présence omnisciente rappelle celle de Dieu ; pour la Vierge noire, la mère tenant son bébé — un écho à la Nativité ; ou encore la femme par terre, enchaînée, violentée, ensanglantée, qui incarne une figure christique. Sans oublier l’enfant, l’ange terrestre. Ainsi que le couple de la Genèse, Adam et Ève. Que révèle la présence de ces personnages bibliques, mystiques ?
Peut-être que nous sommes tous, toutes, amené(e)s à porter notre croix, pour cheminer vers le ciel. En effet, si le clip nous plonge dans la réalité des favelas, la scène finale représente la Tour de Babel. Selon la Bible, les hommes eurent l'idée de bâtir une tour assez haute pour atteindre les cieux, leur permettant ainsi d'accéder au Paradis. Babel signifie “Porte du Ciel”. Dieu les punit pour leur orgueil : eux, qui jadis parlaient la même langue, reçurent la sentence de ne plus se comprendre… Ils furent divisés en nations multiples, condamnées à parler des langues diverses.
Les favelas sont dépeintes comme une tour de Babel : un lieu où règne la confusion, certes, mais aussi un possible chemin vers le ciel. C’est pour l’artiste une façon de raconter son ascension, de l’ombre à la lumière.
L’ascension de Roni0block
RoniOblock chemine vers son ascension.
Une ascension fulgurante qu'il semble déjà contempler du haut de sa Tour de Babel, aux côtés de sa belle.
La féministe que je suis ne peut s’empêcher de noter des paroles misogynes qui contrastent étonnamment avec cette ambiance romantique. Le clip s’intitule « F2P », bien qu’il s’offre comme un vibrant hommage aux mamans, ces guerrières de la vie, ces battantes du quotidien. C’est un hommage à la sienne en particulier, une lettre d’amour à celle qui insuffle en lui, le désir de s’élever.
« F2P » raconte l’histoire d’un jeune Brésilien qui rêve de s’en sortir, qui ambitionne de toucher les sommets, et ce, par le truchement de l’art. Conquérir le monde par le rap, c’est tout un programme. Et c’est surtout un jeu, dans lequel on se régale.
F2P : Free to play… Une allégorie de la liberté
Des ailes de l’ange à la lumière de l’oiseau, le film s’offre comme une allégorie de la liberté. La beauté des ciels corrobore cette idée. La dominance des cieux fait écho à la présence de Dieu : une allégorie de la Providence.
Par sa beauté inouïe et ses métaphores singulières, tant visuelles que sonores, ce clip nous rappelle l’éternel combat entre beaux-arts et culture populaire. Le jazz et le rap, les figures de style et le jargon de rue, la poésie et la vulgarité… Le clip illustre aussi la diversité culturelle du Brésil, rappelant comment la couleur de peau et la classe sociale peuvent constituer un frein à la réalisation de ses rêves.
Mais ce n’est pas ce qui va nous arrêter.
Et encore moins, l’arrêter.
En France, “FDP” signifie “fils de p*te” dans l’argot des banlieues. Mais c’est aussi un anglicisme qui se traduit par “Libre de jouer”, dans l’univers des jeux vidéo. En effet, le rap est un jeu, et dans ce game, l’artiste est libre. Libre de jouer. On a envie de se joindre à lui.
Roni chemine vers son ascension. C’est certain.
Accompagnons-le dans la danse.
Un article de Maureen KAKOU.
Insta : @lesmotsdefia
Medium : medium.com/@fiamaureenkakou
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