Le SIDA à l’Écran : De la Stigmatisation à la Réhabilitation.
- Mélanie GAUDRY
- 22 mars
- 11 min de lecture
Des années 1990 à nos jours, le VIH n’a cessé d’inspirer les réalisateurs du monde entier. Suivant le cours de l'évolution des traitements et des mentalités, la manière de traiter le sujet a évolué tout au long des décennies, passant de la tragédie quasi shakespearienne à une vision beaucoup plus nuancée.

Et pour cause, en 2024, la trithérapie aidant, on ne meurt plus du syndrome d’immunodéficience acquise - SIDA - ce stade n’étant désormais que rarement atteint. La maladie n’est plus l’apanage des gays et des drogués comme le considérait l’opinion populaire de la France mitterrandienne mais peut s’abattre sur tout un chacun. Sensibiliser, informer et éduquer : tels sont les maîtres du mot du cinéma abordant le sujet. À la différence que le manichéisme du début a finalement cédé le pas à des analyses plus profondes. Trente ans de Sidaction mélangé aux « coming-out » séropositifs de comédiens populaires tel qu’ Isaiah Washington ( Grey’s anatomy) ou encore Charlie Sheen ( Mon oncle Charlie) ont permis au grand public de s’émanciper de trente ans de préjugés.
Une amélioration notoire des conditions de vie des malades a parachevé cette réhabilitation de la maladie. Les patients bénéficient désormais d’une prise en charge permettant de renforcer leur système immunitaire, excluant l’apparition de maladies opportunistes et de cancers, si bien que leur espérance de vie tend à s’approcher des séronégatifs. Mais si contracter le VIH n’est plus synonyme d’une condamnation à mort, les préjugés autour de la maladie persistant, continue de faire de la sérophobie un fléau sociétal.
De Philadelphia aux clichés d’AB Production
Nous sommes en 1993 quand sort le film qui marquera toute une génération. Réalisé par Jonathan Demme déjà connu pour Le silence des agneaux, ce long-métrage s’appelle Philadelphia et il s’apprête à changer le regard de l’opinion sur la maladie. Premier film hollywoodien mettant en scène le SIDA et l’homosexualité, il est inspiré d’une histoire vraie, celle de Geoffrey Bowers, un avocat qui a défrayé la chronique en accusant son ancien patron de discrimination envers les séropositifs. Saluant la qualité de l’interprétation de Tom Hanks dans le rôle titre, les critiques ne tardent pas à être élogieuses. Pour la première fois, l’homophobie et la sérophobie sont mises en lumière, emmenant avec elles, une considération nouvelle pour ceux que la société étasunienne d’alors avait tant ostraciser.
Fier de son succès et de ses critiques élogieuses, le pitch sera repris en 2000 dans un épisode de la série Ally Mcbeal où un procès opposant une séropositive à ses anciens employeurs vient bouleverser les associés du cabinet Cage & Fish mais également parodié dans South Park. Philadelphia, à travers le personnage d’Andrew Beckett ( Tom Hanks ) humanise ce virus qui apparaît encore comme abstrait pour l’inconscient populaire. Le public se familiarise avec les différentes étapes de la maladie en même temps que le héros auquel il s’attache durant plus de deux heures, ce qui confère une sensibilisation de masse. Ainsi sont évoquées la maladie de Kaposi qui engendre des lésions cutanées lorsque l’immunité s’effondre mais la fin de vie des patients arrivés au point de non-retour du stade SIDA. Vraie initiation aux maux causés par le virus, le film de Jonathan Demme se révèle une leçon de tolérance salvatrice pour les malades qui, jusqu’alors subissaient quolibets et exclusion. Mais si Philadelphia a ouvert la porte de la tolérance due aux personnes touchées par le VIH, de nombreux clichés ont continué de circuler, notamment dans les sitcoms américaines comme françaises.
La série pour adolescents Beverly Hills 90210 en incarne le parfait exemple. Feuilleton en vogue aux États-Unis comme à l’étranger, il dépeint, à travers les aventures de Brenda, Dylan et leurs amis, des faits de société tels que les addictions, les grossesses précoces ou encore le VIH.
Lors de la saison 7, Valérie ( Tiffani Thiessen) effectue un test de dépistage après avoir eu un rapport sexuel non protégé avec un toxicomane au lendemain de sa rupture avec David ( Brian Austin Green). Après avoir trouvé des seringues dans la commode de son partenaire, la jeune femme se persuade de sa séropositivité. Assimilant le virus à une condamnation à mort, Valérie pense au suicide durant l’intermède qui la sépare des résultats du test de dépistage. Sans surprise, la jeune fille se révèle négative. Ce double épisode contribue à véhiculer des idées reçues autour du VIH qui ne font que stigmatiser les malades qui sont systématiquement décrits comme homosexuels ou drogués. Le fait que la série s’adresse à un jeune public qui tend à s’identifier aux personnages ne fait qu’ancrer davantage les idées reçues auprès des adolescents.
Même scénario en France où les spectateurs de Sous le Soleil ont pu découvrir dès la saison 1 dans l’épisode « L’amour à risque « (1996 ) une intrigue consacré au VIH. Un personnage extérieur au casting d’origine vient perturber les héros tropéziens. Ami d’enfance de la bande, Antoine revient à Saint-Tropez suite à un chagrin d’amour. Sa compagne Adèle l’ayant quitté sans raison, le jeune homme décide de se consoler dans les bras de la belle Jessica ( Tonya Kinzinger ) On apprend plus tard que le VIH est la cause de la rupture et que le personnage en est possiblement atteint, faisant craindre le spectateur pour l’avenir de son héroïne. Nous apprendrons à l’issue de l’épisode qu’Antoine n’a pas été contaminé mais que désormais au courant des raisons de l’éloignement d’Adèle, ne pas l’épauler dans cette épreuve va à l’encontre de ses valeurs. Ainsi quitte t-il Jessica et Saint-Tropez, laissant le spectateur pantois quant à cet entracte si éloigné du storytelling habituel du feuilleton qui se concentre d’ordinaire sur des thèmes bien plus légers.
La série phare de AB production Hélène et les garçons choisit d’utiliser Nathalie ( Karine Lollichon), un de ses protagonistes secondaires pour traiter le sujet. L’étudiante ayant eu un rapport sexuel non protégé avec Thomas Fava, producteur toxicomane et séropositif, fait entrer le SIDA au sein de la mythique cafétéria. Et pour cause, Nicolas, le petit ami d’Hélène vient de passer la nuit avec Nathalie … Durant plusieurs épisodes, les acolytes d’Hélène se feront dépister ce qui illustre la visée pédagogique de la production.
Il faudra attendre 1997 pour qu' AB production nuance son propos. En effet, Les vacances de l’amour - suite de la série mythique se déroulant aux Antilles - ajoute à son casting d’origine le personnage de Stéphane. Pilote d’avion épris de Laly ( Laly Meignan), le jeune homme refuse le passage à l’acte. On apprendra par la suite sa séropositivité. Si Stéphane voit son rapport à l’autre impacté par la maladie, il refuse de se soigner et ce, au grand désespoir de ses amis. Personnage intégré et attachant, Stéphane culpabilise d’avoir été contaminé, ce qui le pousse à faire pénitence en sabotant ses chances de guérison. Décrit comme « asymptomatique » lors de la première saison, ce fusil de Tchekhov maladroit révélera ce qui est probablement le plus gros coup de théâtre de la franchise. Et pour cause, nous découvrons en 2000 que Stéphane n’a jamais été contaminé par le VIH. Les résultats des tests étaient erronés. Facilité scénaristique pour dédouaner le pilote de son moment d’égarement avec Cynthia, le personnage perdra toute profondeur au point d’être écarté de la suite de la série.
Si Philadelphia avait ouvert la voie à une vision bien plus subtile du VIH, les sitcoms, en France comme aux États-Unis ont contribué à la diffusion de clichés autour de la maladie. Il faudra de nombreuses années pour qu’ils s’estompent. Les années 1990 auront fait du SIDA un mal réservé à quelques-uns mais surtout dont l’issue s’avère forcément funeste. Avec l’évolution des traitements, le cinéma apprendra doucement à nuancer le destin de ses malades de fiction.
Charlotte Valandrey, ambassadrice malgré elle.
De 1993 à 2005, la série Les Cordier juge et flic fait les beaux jours de TF1. Après un pilote ayant ravi les critiques diffusé en novembre 1992 ( « Peinture au pistolet »), les aventures du commissaire Pierre Cordier ( Pierre Mondy) et de ses enfants connaît un engouement populaire. D’abord attribué à Alicia Alonso, le personnage de la fantasque Myriam Cordier revient finalement à Charlotte Valandrey alors âgée de vingt-cinq ans.
La jeune actrice choisie pour camper la fille du commissaire mais également la sœur du juge ( Bruno Madinier) n’est pas une débutante. Récompensée en 1985 par l’Ours d’argent de la meilleure actrice au Festival de Berlin puis par le César du meilleur espoir féminin pour son rôle dans Rouge Baiser de Véra Belmont, Charlotte Valandrey a tout pour devenir la nouvelle Deneuve, de la fraîcheur au charme mutin.

Malheureusement, le destin de la jeune actrice se voit compromis par la révélation de sa séropositivité. Le réalisateur Jean-Claude Brisseau lui retire le rôle principal de son film « Noce blanche » qu’il confie à Vanessa Paradis. Charlotte Valandrey se voit évincée du cinéma français pour finalement échoir à la télévision. L’équipe des Cordier, créé par Alain Page, se montre particulièrement bienveillante envers la jeune actrice qui excelle dans le rôle de Myriam.
Le VIH étant un sujet particulièrement prisé lors du tournage des premières saisons, il arrive que la maladie rattrape la comédienne. C’est notamment le cas en 1994 durant l’épisode « Une mort programmée. » Alors que la famille Cordier s’empresse de comprendre les circonstances de la mort d’un célèbre producteur de film, Myriam découvre que ce dernier était positif au VIH et qu’il avait organisé son suicide après l’exécution du médecin qui avait effectué la transfusion.
Mais c’est l’année suivante dans l’épisode « Cécile mon enfant » que Charlotte Valandrey se voit confronté à un scénario des plus poignants à la hauteur de sa situation. Une mère de famille tue sa propre fille à l’annonce de sa séropositivité afin de lui épargner les souffrances inhérentes à la maladie. Nous pouvons aisément imaginer les difficultés rencontrées par Charlotte Valandrey durant le tournage. Après le rejet du cinéma, la télévision, bien que plus tolérante, semble s’acharner insidieusement sur la jeune actrice qui continue malgré tout de faire ses armes.
En 2003, Myriam Cordier quitte la série, prétextant une mutation au Québec. La réalité est davantage cruelle. Charlotte Valandrey, épuisée par près de vingt ans de traitement, doit subir une transplantation cardiaque. Si l’opération est une réussite, la comédienne doit déserter le petit écran. Aussi ne reprendra t-elle que ponctuellement son rôle dans la série mais également dans le spin-off Commissaire Cordier (2005-2007.)
Pour le grand public, Charlotte Valandrey contribue à donner une image positive de la maladie. Assimilée à la sympathique Myriam, elle devient malgré elle l’égérie du VIH jusqu’à faire parfois oublier son parcours artistique. Dans son livre publié en 2005 L’amour dans le sang, la comédienne revient sur les circonstances de sa contamination, alors qu’elle n’avait que seize ans ainsi que sur l’annonce de la maladie le jour de ses dix-huit ans. Pour tous, Charlotte Valandrey devient une victime à laquelle on s’identifie. Loin de l’image stigmatisante du toxicomane aux seringues vectrices de virus représenté à l’accoutumée dans les médias, la jeune femme donne un sang neuf au VIH et modifie la perception de la maladie.
Années 2010 et nostalgie des années Mitterrand
Les années 2010 marque un tournant décisif dans la représentation audiovisuelle du SIDA sur nos écrans. L’efficacité de la trithérapie n'étant plus à prouver, le virus n’est plus le synonyme d’une mort annoncée. Cette avancée donne aux réalisateurs une impulsion nouvelle : le goût de la rétrospective. En seulement vingt ans, la maladie, si elle n’a pu être endiguée commence à être contrôlée. Ainsi, The Dallas Buyers Club ( 2013) de Jean-Marc Vallée revient sur les balbutiements des traitements. Un an plus tard parait The normal heart mettant en lumière un écrivain activiste joué par Mark Ruffalo. Pour la première fois, le principal leitmotiv d’un film traitant du sida n’est pas la maladie en elle-même mais le militantisme qui l’entoure. Même impulsion pour les séries où un épisode de la saison 10 de Grey’s anatomy revient, dans un long flash back, sur le sort du premier séropositif admis au Seattle Grâce Hospital à la fin des années 1970. Discriminé, le patient a été confié au premier interné de couleur de la promotion ainsi qu’à la seule femme médecin du service. Il va sans dire que la créatrice de la série Shonda Rhimes a voulu faire un parallèle entre le sort réservé aux séropositifs en milieu hospitalier avec la stigmatisation des noirs américains et des femmes internes en médecine.
Mais c’est 120 battements par minute de Robin Campillo (2017) récompensé par le César du meilleur du film qui marquera le plus l’histoire du VIH sur nos écrans. Le film ne retrace plus le destin d’un séropositif en proie à la maladie mais celui d’un groupe d’activistes qui multiplient les actions pour sensibiliser le grand public. Si la combativité des héros auraient pu suffire à faire de ce long-métrage une référence du genre, l’agonie de Sean ( Nahuel Pérez Biscayart) vient lui apporter, lors du dernier tiers, le pessimisme propre au registre. Qu’importe la ferveur des personnages, la mort semble décidée à réclamer son compte, associant inlassablement la maladie à l’inéluctable.
Vers la rémission ?
Des années 1990 aux années 2010, de Philadelphia à 120 battements par minute, chez l’oncle Sam comme en France, les films traitant du VIH ont le point commun de sombrer inexorablement dans le pathos. Si les premières évocations faisaient du mélo leur fil conducteur, les réalisations ont réussi tant bien que mal à se défaire des facilités scénaristiques. Or si le SIDA est un sujet plus que délicat, il ne faut pas oublier la dimension profondément romantique qui l’auréole. Amour et mort. Souffrance et fatalité. Sexe et pénitence. Pas de Deus ex machina autre que la science pour déjouer le destin. La confiance en la médecine et l’appréhension qui en découle. Tant de thèmes qui, s’ils flirtent avec la dame à la fau, se rapprochent, in fine, de la vie dans son acception la plus éloquente et la plus crue. C’est de cette volonté de vivre qu’est né le dernier film en date traitant du VIH : Vivre, mourir, renaître.
Festival de Cannes 2024. Dans les coulisses, on parle d’un film coup de poing sur le SIDA qui apporterait un regard nouveau sur la maladie. Certains s’enthousiasmant, d’autres sont plus médisants. Ces derniers sont plus nombreux. Il faut dire que tout semble avoir été dit et qu’assister au déclin d’un énième héros qu’on se surprendrait à bien aimer, trop peu s’en faut.
Or, comme souvent à Cannes la projection finira par mettre tout le monde d’accord. Plus de trente ans après la sortie du premier film hollywoodien sur le VIH éclot l’œuvre qui fera la jonction entre la prévention et la description, permettant de sensibiliser sans dramatiser et ainsi heurter la sensibilité des malades eux-mêmes. Le film où personne ne meurt plus à la fin. Ce bijou s’appelle Vivre, mourir, renaître et il clôt un chapitre trop long où le SIDA gagne inexorablement à chaque fois.
Réalisé par Gaël Morel débute sous Mitterrand, à l’époque où Jean-Marie Le Pen appelaient les français à enfermer les « sidaïques » dans des sidatoriums, fort de son titre prémonitoire offre une vison profondément optimiste de la maladie. Si 120 battements par minute avait déjà abordé l’indifférence des institutions vis-à-vis du VIH, Vivre, mourir, renaître insiste davantage sur le point de vue des malades. À l’inverse d’Andrew de Philadelphia, ceux-ci sont présentés comme des personnages ordinaires qui refusent de se laisser définir par la maladie. Il n’est donc plus question d’aborder les symptômes ou de les présenter aliter mais parler de leur passion amoureuse, de leurs besoins sexuels mais aussi de ce qui se passe dans leurs têtes. Parce que si un individu ne se définit pas (plus ?) par son statut sérologique et que la trithérapie limite les décès, vivre avec la maladie se révèle un apprentissage des plus fastidieux. Si le corps lutte contre le virus, l’esprit se bat face aux pensées parasites. Le cheminement psychologique des personnages suit les étapes du deuil. Pour vivre avec le SIDA, il faut laisser mourir sa vie de séronégatif. Accepter qu’aucun retour en arrière n’est possible et qu’un nouveau destin se présente. Différent du précédent, certes, mais tout aussi vecteur de bonheur, d’amour et bons moments. Le long plan séquence où les héros courent dans les rues à la recherche de préservatifs montre la victoire de la vie sur la maladie et intrinsèquement sur la mort. « Modern love » de David Bowie en arrière plan illustre un renouveau symbolique, une renaissance actée et une insouciance retrouvée. Délesté du poids du remord, n’ayant plus peur de perdre la vie, les héros ont achevé leur chemin de croix. La résurrection est là et elle se fait dans la joie. Ils n’ont peut-être pas totalement vaincu la maladie mais ils sont sortis de leur chrysalide.
Trente ans après Philadelphia, on peut désormais affirmer que même au cinéma, le SIDA, non seulement ne tue plus, mais rend aussi bien plus fort.
Un article de Mélanie GAUDRY.
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