Raconter l’errance
Autrice francophone la plus lue en France en 2023, Mélissa da Costa a été révélée en 2019 par son roman « Tout le bleu du ciel ». Les critiques littéraires lui attribuent l’étiquette d’autrice « feel good ». Elle s’en défend au micro de Louise Aubery dans le podcast Inpower, expliquant que chacun de ses romans adopte un ton différent et qu’elle ne peut être rangée dans une seule catégorie littéraire.
Il serait effectivement réducteur de l’associer à ce seul mouvement. Qui peut lire attentivement ses livres sans ressentir de l’injustice, de l’angoisse, parfois même de la colère ?
Mélissa da Costa sait raconter l’errance : celle d’une parisienne qui a vu son mariage s’essouffler, d’un jeune homme qui apprend que ses jours sont comptés à la suite d’un diagnostic d’Alzheimer précoce, d’une mère faisant face à la mort de son enfant, ou encore d’une jeune fille trop esseulée pour vouloir continuer à vivre.
Les personnages nous sont présentés avec toute l’empathie qui s’impose pour traiter dignement la misère émotionnelle des humains aux parcours de vie brisés. On lit la détresse, le désespoir, l’envie d’en finir, mais aussi et surtout le pouvoir salvateur d’une main tendue.
S’exiler pour renaître
« Être heureux, c’est quelque chose qu’on obtient quand on a eu le courage de tout envoyer balader et qu’on a pris le risque de tout recommencer à zéro. Être heureux, ce n’est pas la sérénité, le calme et le bonheur sans vagues. C’est au contraire être capable de tout faire voler en éclats, de tout remettre en question, toute sa vie si on le souhaite. »
Mélissa da Costa, Je revenais des autres
Mélissa da Costa sait que traverser l’errance est un voyage. Elle connait le besoin de déracinement d’une personne qui a tout perdu et qui, pour survivre, doit se réinventer. Elle comprend que renaître implique de découvrir le monde avec de nouveaux yeux, d’explorer des territoires vierges de peines.
Face à l’errance, l’autrice nous emmène voyager. Elle nous fait traverser la France en camping-car pour randonner. Elle nous propose de poser nos bagages dans un bungalow au sein d’un territoire sauvage de Nouvelle-Zélande. Elle nous permet même de devenir serveurs saisonniers dans une station de ski. Si c’est à nous qu’elle fait vivre ces expériences, c’est parce que Mélissa da Costa décrit si précisément les ressentis des personnages dans leurs nouvelles vies que l’on effectue cette traversée avec eux.
Dans les romans de l’autrice comme dans la vie, les âmes abimées aspirent à la solitude. Le poids de l’errance est si intense qu’il est difficile d’envisager assumer la charge des conventions sociales. Leurs interactions avec les autres personnages sont alors adaptées à leurs états sentimentaux : ils font fi des bonnes manières. On retrouve des personnages à l’état brut, qui ont tellement de mal à gérer leurs propres émotions qu’ils ne parviennent pas à se soucier de celles des autres.
Dès lors, au gré des conversations et des liens qui se forment entre le personnage principal et son nouvel environnement, on découvre les autres protagonistes. Chacun porte sa peine et son chagrin. Quand ils se dévoilent, un gouffre émotionnel s’ouvre devant eux. On comprend leurs épreuves, on découvre leur peine et leur culpabilité, on pardonne leur comportement. La lecture apprend l’empathie.
Seulement après avoir révélé leurs traumatismes, les personnages peuvent commencer à déculpabiliser, et le poids du monde devient un peu moins lourd. Si chaque personnage vit son voyage intérieur seul, c’est ensemble qu’ils se réparent.
Une lecture thérapeutique
« - Je ne me sens à ma place nulle part.
- Tu te sentiras à ta place le jour où tu auras trouvé le bon endroit »
Mélissa da Costa, Les femmes du bout du monde
L’univers de Mélissa da Costa commence là où celui du développement personnel s’arrête. L’autrice ne nous demande pas de sourire à la vie, de voir le positif dans chaque situation, ou de se fixer de nouveaux objectifs chaque jour. Elle sait que, quand on touche le fond, on ne peut rien entendre, encore moins des injonctions au bonheur. Elle sait que la force et l’énergie quittent notre corps, et qu’il est impossible de les mobiliser. Face à ce constat, elle nous propose simplement de voyager et de rencontrer d’autres âmes. Par-dessus tout, elle nous rappelle l’essentiel : à la fin de la traversée, on aura appris à survivre. À la fin de l’errance, on renaît. Un article de Justine MAGAUD.
Bel article dont la lecture douce et bienveillante rejoint le style de l’écrivaine. Bravo et merci Justine.