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Constellation 

Photo du rédacteurManon LOPEZ

« Ni tout à fait la même, ni tout à fait un autre » d’Edith Laplane et de Michaël Serfaty : une exposition hommage à la femme

Dernière mise à jour : 28 avr.



« …et amoureuses

….et attachantes, attentives, brillantes, clairvoyantes, dépendantes, écologiques, élégantes, enfantines, enivrantes, éparpillées, fantaisistes, féministes, généreuses, hygiénistes, hypocondriaques, in/fertiles, inoubliables, intemporelles, libérées, magnétiques, naïves, nourricières, pétillantes, positives, précises, préoccupées, protectrices, réparées, rustiques, secrètes, tenaces, uniques.

Des qualificatifs positifs, affectueux tendres résultants surtout de tant d'années de fréquentation des femmes, de leurs mots, de leur corps, de leurs histoires…

Bien sûr la souffrance, la peine, la fragilité prennent le pas dans la puissance de la rencontre.

Mais il ne sera pas dit que ces maux, ces tensions-là auront réussi à obstruer l'éclosion de la douceur, de l'affection, de la sincérité de toutes ces singulières rencontres.

Les accumulations pour dire le nombre, la répétition, mais aussi toutes ces différences dans la ressemblance, immenses ou infimes.

 

Et Vitales parce que…la vie est là, tellement. »

 

Michaël Serfaty

 

 

 

Pavillon Vendôme – Aix-en-Provence.

Jusqu’au 28/04.

 

C’est nichée au sein de cette belle demeure devenue un musée, construite en 1664 par le Duc de Vendôme, cousin de Louis XIV, que se trouve l’exposition « Ni tout à fait la même, ni tout à fait un autre » d’Edith Laplane et de Michaël Serfaty. Véritable plongée au sein du corps, de l’esprit, de l’âme de la femme, les deux artistes, qui sont également gynécologues, nous proposent de parcourir à travers des mots, des broderies, du papier et des photographies les différentes facettes du féminin. Le titre même de l’exposition nous fait déjà penser à Don Juan, ce collectionneur de femmes, celui qui les aimait tant qu’il ne pouvait en choisir une, la rendant trophée, grandiose récompense de l’art de la conquête. Mais, toute la force de l’exposition est de penser au-delà de cette représentation en se confrontant à la réalité du corps, des blessures physiques, psychologiques, des traumatismes, et aussi de l’éveil à la sexualité. Tant de thèmes aujourd’hui rendus téléphonés, si bien qu’ils n’ont plus de grâce, ni d’élégance car traités sous le regard de la revendication agressive et oppressante. Les œuvres d’Edith Laplane et de Michaël Serfaty, au contraire, rendent à la femme ce regard à la fois cru et authentique, ces paroles puissantes qui provoquent l’effroi et aussi la tendresse. Leur art ne crie pas sans écho. Il s’agit d’un murmure qui fige, bouleverse, rappelle à toute femme un souvenir, une peur, une émotion.

 

« Je vous écris avec la chair de mes mots »

 

J’ai parcouru les pièces du Pavillon Vendôme en ressentant un flottement face à chacune des œuvres qui ont touché mes yeux. Des vagues sensibles, souvent douloureuses. Des larmes, comme jamais je n’ai pu couler pour une seule exposition. Chaque thème m’évoque une image – de mon passé, de mon présent, des mots des femmes que j’ai pu rencontrer. Dans le salon que je nommerais « Je vous écris avec la chair de mes mots », tiré d’un livre de Michaël Serfaty, je suis perturbée par ces paroles de femmes gravées sur des assemblages photographiques, ou de matière mixte (textile, couture, papier). Des maux hurlés, pénétrants tout mon corps, comme si je les avais dits. Ces mots soufflés, osés, meurtris, en quête d’une libération – peut-être des confessions de ces femmes à ces gynécologues, eux qui veillent sur leur santé, mais qui voient, écoutent, observent ces âmes parfois prisonnières de leurs corps. Chaque œuvre me ramène à tout ce que je ne parviens pas à exprimer, oui, comme si ces femmes le criaient pour moi. Cette chair de mots que j’expose par l’écriture, mais qui peine à venir se poser sur mes lèvres quand j’ai besoin de la cracher.

 

Le sexe féminin sans tabou

 

Dans une autre salle, le « Cabinet des curiosités », Edith Laplane se fonde sur l’origine de la navette, biscuit traditionnel marseillais, pour réfléchir sur les représentations du sexe féminin. En effet, l’artiste voit en ces navettes une forme évocatrice, celle de la vulve, et elle découvrira d’ailleurs plus tard qu’à la chandeleur, celles-ci représentaient les barques par lesquelles les vierges seraient arrivées en Provence. La vulve-navette, ainsi réinventée par Edith Laplane multiples fois, repousse les limites du sexe secret/sacré, qu’on devrait cacher, dont on devrait presque avoir honte. Si le féminisme actuel réhabilite la vulve, ici, elle devient presque un bijou, une représentation précieuse que porte la femme, et tout son mystère s’offre à nous et nous interroge.


Édith Laplane, gynécologue et plasticienne. (Photo : Michaël Serfaty)

 

Au cœur des cicatrices

 

Puis, encore une porte ouverte, la salle « Scars » : « On ne vit pas sans laisser de traces. On ne naît pas sans laisser de traces. » (Michaël Serfaty). Particulièrement touchante, voire glaçante. Mes yeux sont interpellés par ces photos en paysage, rappelant ainsi le champ opératoire, de bas ventres de femmes, certaines ayant des cicatrices (notamment de césarienne). En face, des photos de parties du corps de femmes opérées, mutilées, impactées par la naissance, la santé, mais aussi touchées psychologiquement dans leur chair. Loin des modèles de magazines, prônant une perfection factice, le photographe s’intéresse à la vérité de la femme, de la souffrance à la guérison. J’ai ressenti un profond mal être à la vue de ces photographies, et pourtant, une chaleur s’est emparée de moi, car au plus je les contemplais, au plus mon regard se portait sur la liste de prénoms des enfants en vie et des femmes en vie suite à ces opérations. A jamais marquées sur le ventre, ces femmes font de leurs cicatrices une marque de résilience, d’amour, de lumière intense. Et, dans l’effroi d’une marque rougeâtre, difforme, se trouve une beauté extrême – cette beauté qu’on veut cacher, taire, celle de la vie.

 

Quand le médical s’éprend de l’art

 

Je suis montée à l’étage pour visiter les autres salles du musée pour voir la suite de l’exposition. Beaucoup de détails me touchent, de la part des deux artistes, notamment cette attention portée au monde médical qui semble tout, sauf artistique. Mais, notre corps n’est-il pas une œuvre d’art si bien pensée à lui tout seul ?

Devant moi, 46 bandes qui évoquent les 46 chromosomes de nos cellules. Brodées de fils rouges, elles représentent les gènes et nous plongent directement dans cette autre facette de l’exposition. Trois salles, trois ambiances. Les Sexvotos d’Edith Laplane sont une série d’œuvres constituées de papier japonais plié, encre, cire, perles, dentelles qui réitèrent cette volonté de métaphoriser le sexe féminin. Pourtant, deux œuvres m’interpellent davantage, voire me pétrifient sur place. Tout d’abord, des cols brodés. Je me demande au premier abord s’il ne s’agit pas de vrais cols qui appartiennent au Pavillon, puis je me penche sur les broderies – et tout s’éclaire. Les cols représentent le col de l’utérus, et les broderies, plutôt jolies, symbolisent les pathologies qui lui sont liées. Ainsi, le papillomavirus devient un beau papillon. Cette pointe d’humour noir, extrêmement élégante, me captive. C’est comme si Edith Laplane s’adressait à notre part enfant pour nous montrer la réalité de notre corps, de ce qui l’affecte pour nous permettre de davantage le conscientiser. J’ai trouvé cette idée particulièrement brillante et ingénieuse, mais elle reste assez douce par rapport au choc qui m’attend deux pas plus tard.

 

My little Fanny in the stormy ocean of Motherhood”. Une sorte de drap froissé au milieu de la salle qui représente l’océan, avec une toute petite barque sur lui. Un drap qui est aussi un linceul, celui du corps d’un enfant décédé, évocation de l’Interruption Thérapeutique de Grossesse d’une proche de l’artiste. Sans voix, je contemple cette forme humaine, gisante, océanique, tempête qu’une mère traverse en ayant perdu cet être créé de son ventre, de sa chair. Le silence, les frissons – et des larmes face à ce corps qui se dessine entre les vagues. Une vision à la fois cauchemardesque, et pourtant, pleine d’espoir – un corps offrande du souvenir et de la guérison, devenu un mémorial de cet enfant qui n’a pas pu naître.

 

« Les Vitales »

 

Dans le salon opposé à ce dernier, les « Vitales » de Michaël Serfaty, série d’œuvres composées de cartes vitales détruites et recomposées par la suite, symbolisant la peur de l’oubli pour ces femmes, regroupant aussi des souvenirs, des pensées que l’artiste ponctue d’adjectifs positifs. De cette manière, il les réimagine ces fragments de vie introduits par un poème qui rend hommage aux femmes qu’il a rencontrées et soignées, ces femmes merveilleuses, inquiètes, blessées, fortes, puissantes. Je suis restée de longues minutes face au texte, profondément chahutée dans mon âme. Je me suis reconnue dans certains mots, j’y ai vu mon jeune parcours de femme, et toute l’histoire qui se cache derrière. Puis, ces portraits, brisés, en lambeaux. « Les vitales In/fertiles » a été un choc. Cette femme entourée d’une multitude d’enfants aux regards découpés, inexistants, perdus dans les récits d’un avortement, d’une fausse couche, d’une infertilité. Dans cette exposition, il n’y a pas de jugement, pas d’injonction. Juste des réalités croisées, jamais sublimées. Des réalités racontées, éprouvées, vivantes sur le spectre de l’entendement, de l’incompréhension, du rejet et de la grandeur. Je me suis perdue dans cette salle, dans ces textes qui ne sont pas toujours des mots, dans ces images, ces montages de tous les aspects de la femme, qu’elle soit libre, amoureuse, sensuelle, torturée, éprise éternellement d’un corps qui semble la limiter, ou bien justement, étendre sa force et son éternité.

 

Michaël Serfaty, gynécologue et photographe.. (Photo : La Marseillaise)


La beauté de l’intime

 

            Enfin, une dernière salle au Pavillon Vendôme, appelée « La Chambre », berceau de l’intimité qui a inspiré les deux artistes à parcourir les étapes de la sexualité chez une jeune femme qui découvre ses règles, puis la sensualité et l’amour. Le sang, considéré dans certaines religions comme impur, est ici au centre de la pièce. Or, il est naturel, et permet la transmission de la vie. Cela conclut merveilleusement bien le but de l’exposition : briser les tabous autour de la femme, magnifier son corps créateur de désir et de vie. C’est ce qui fait à mon sens que ces œuvres soient d’utilité publique : toutes les jeunes femmes devraient voir l’exposition, s’imprégner de ces parcours, voir la honte s’éclipser de leur chair.

 

Même si le temps court avant que l’exposition ne cesse, je ne peux que vous conseiller d’aller vous perdre dans ces salons, de vous laisser porter par les mots, les images, les créations – tous étant perturbants. Les réactions seront diverses : du rejet à la mélancolie, en passant par l’admiration, le sourire, oui, cette exposition crée des émotions fortes. L’idée est de vous faire sortir de votre zone de confort, de vous perturber en profondeur, d’éveiller le pire comme le meilleur pour ne pas oublier votre histoire ou l’histoire des femmes de votre vie.

 

Un grand bravo à Michaël Serfaty et Edith Laplane, tous deux artistes de la médecine et docteurs de l’âme.

 

Un article de Manon LOPEZ.






Pour découvrir la présentation de Manon LOPEZ en vidéo, cliquez sur le l'image ci-dessous.



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