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Constellation 

Photo du rédacteurMaureen KAKOU

Romantisme Noir : À l’Ombre de la Lumière… Luv Resval (Partie II)

Luv Resval, un héros romantique… 

Romantisme noir ou romantisation de la dépression ?

 

L’œuvre de Luv se distingue par son romantisme noir. Hélas, un romantisme noir qui tend vers la glorification de la noirceur. La romantisation de la dépression.

 

Dans Black Pearl, on plonge dans un monde lugubre qui rappelle l’univers fantastique de Pirate des Caraïbes, une des œuvres favorites de l’artiste. En effet, le clip Black Pearl est un vibrant hommage au monde du capitaine Jack Sparrow, personnage à qui il s’identifie, au point de l’incarner. Mais un Jack Sparrow beaucoup plus triste et sombre que celui que l’on connaît. Dans ce clip somptueux, Luv apparaît comme un Pirate noir, capitaine d’un équipage en quête de diamants et mille autres trésors. L’équipage des pirates comme la quête du trésor, sont en vérité des métaphores, du monde de la musique. Être constamment entouré d’une équipe artistique, chercher sans cesse le « flouz » (l’argent) : ainsi se dessine la vie de Luv.

 

Le Pirate noir semble entouré, et pourtant, il se sent horriblement seul. Comme dans Tout s’en va, un des éléments marquants de ce clip, c’est la solitude de l’artiste. On découvre un Luv de plus en plus triste, en proie à de multiples tourments. Le succès grandit. Les problèmes s’accumulent. Les démons sont toujours là. La dépression s’installe. Certaines scènes majestueuses présentent l’artiste en pleine écriture, tenant la plume. Écrit-il une lettre ? Écrit-il des poèmes ? Écrit-il des vers pour apaiser ses maux ? Nous sommes libres de l’imaginer.

 

Dans Black Pearl, Luv apparaît sous les traits d’un pirate dépressif, qui ne désire rien d’autre que de quitter le navire, quitte à plonger… On le voit s'immerger dans la mer de sa peine, couler et sombrer dans les eaux. Cette scène marquante qui illustre un suicide, est pourtant, visuellement, artistiquement, sublime. Splendide. C’est pourquoi on peut s’interroger : sommes-nous dans les méandres du romantisme noir ou alors dans la romantisation de la dépression ? Sans doute un peu des deux. Par « romantisme noir », je fais écho à ce mouvement artistique et littéraire, né en Europe au XIXe siècle. 

 

Le Romantisme se caractérise par une volonté de l'artiste d'explorer toutes les possibilités de l'art, afin d'exprimer ses états d'âme : il s’offre comme une réaction du sentiment contre la raison, une exaltation du mystère et des mondes fantastiques. Il se distingue par sa quête d'évasion, le ravissement onirique, l’émerveillement et le rêve, le morbide et le sublime, l'exotisme et le passé. Le Romantisme prône la nostalgie et se manifeste par l'idéal ou le cauchemar d'une sensibilité mélancolique et passionnée. On retrouve toutes ces valeurs dans l’œuvre resvalienne.

 

Et dans Black Pearl, Luv campe magnifiquement son personnage romantique. 

 

L’artiste romantise (roman-tise) sa dépression. C'est à la fois triste et sublime.




La dépression : le mal du siècle 

 

L’expression des sentiments, le lyrisme, la description de la nature pour conter ses émotions, sont des procédés littéraires, propres au mouvement romantique. Quant au suicide, c’est un thème très présent dans le Romantisme, que ce soit en tant que thème littéraire ou comme « mouvement social ». En effet, on le voit avec Les Malheurs du Jeune Werther, un roman épistolaire, écrit par l’auteur allemand Johann Wolfgang von Goethe (publié anonymement en 1774, puis dans une version peaufinée en 1787). Ce livre a connu un succès fulgurant, si bien qu’il a entraîné une vague de suicides dans la société allemande du XIXe siècle. Un événement plus que choquant. 

 

Le suicide est une réponse à un mal-être intense, c’est la conséquence d’une nuit noire de l’âme. Hélas… Ce mal-être du siècle, en l’occurrence le 20e siècle, c’est la dépression. Ainsi, la romantisation de la dépression, bien que cathartique dans un premier temps, peut se révéler dangereuse, si la maladie n’est pas traitée. La dépression est une maladie mentale qui engouffre sa victime dans une spirale infernale. Maladie psychique fréquente, elle perturbe fortement la vie quotidienne par ses troubles de l’humeur. En effet, la dépression se caractérise par une tristesse perpétuelle, des idées noires, une fatigue anormale, la dévalorisation de soi, la perte du goût de vivre…

 

Dans Black Pearl, le bateau pirate s’offre comme une allégorie de la vie, tandis que la mer est une métaphore des émotions. Une mer d’émotions dans laquelle l’artiste se noie.

 

La suite du clip est d’autant plus intéressante, que dis-je, intrigante, puisque l’on découvre que cet univers fantastique n’est pas réel. Il a été créé de toutes pièces par le cerveau de l’artiste. C’est un monde issu de l’imagination fertile du poète. D’ailleurs, l’on se retrouve dans sa tête, dans son cerveau, et on découvre qu’il est victime d’hallucinations. Des hallucinations, probablement causées par la consommation de substances, thème récurrent dans son œuvre.

 

Entre addictions et afflictions : Les Paradis artificiels

 

La lean, la drogue, la cocaïne, la codéine… Nombreux sont les mots qui affluent, pour aborder le thème des substances, dans l’art de Luv Resval. Riche est le champ lexical, pour parler de cette consommation infernale. Entre addictions et afflictions, les paradis artificiels sont un enfer réel. 


“On pouvait pas lui prendre son verre de lean, malgré ce bête de style. Toujours la tête dans les nuages, avec un air de spleen.”  (Savage Toddy, Tout s’en va sauf les souvenirs)


La lean est un sirop toxique, à base de codéine. Elle est omniprésente dans l’œuvre de Luv. Dans ses premiers freestyles, on le voit souvent exhiber ce « flacon », cette « potion magique ». Il va même jusqu’à la personnifier, tant elle inonde [inondait] son quotidien. « Ma lean est plus belle que Callisto » (++)


Dans quasiment toutes ses chansons, revient cette musique, comme un filtre qui donne une certaine couleur à son œuvre.


«  Mélange potion magique, comme un druide » (Wallachia)


« J’reviens sur la côte et tu voudrais qu’on dîne, consommer la dope et la prométhazine » (Nostalgie)


« J’fais des potions comme Marie Curie » (Xan)


« Le vent sur ta peau

La weed dans la poche

Soirée sous alcool

Une plage sur la côte…


Chemin vers le ciel »


« Tu marches, enivré par les vapeurs que t’as inhalées » (Chemin vers le ciel)


« J’pars en guerre, j’espère que Dieu protège nos fils… Sur la terre je sais que Satan connaît nos vices » « J’ roule des denrées nocives » « J’prends la drogue, j’deviens émotif… J’suis bressom comme un gothique » (Space Cake)


« Grand verre de lean rose, maman j’ai pas mis l’doseur » (MPC, Part II)


« Des pansements recouverts de shit, j’ vais les utiliser pour réparer mon cœur » (La princesse et le crapaud)


C’est à la fois une échappatoire et une prison mentale. 


Ce thème de la prison mentale, Luv l’aborde également en faisant référence à « ZALEM » : une terre mystérieuse, dont il est impossible de s’échapper. « Perdus dans les allées, personne sort de Zalem » (ZLM)


ZALEM est une métaphore de la prison mentale. Elle traduit l’impossibilité de fuir ses troubles mentaux ; son mal-être, ses souffrances, ses addictions. La seule solution, c’est de s’échapper de ce monde, accéder à un monde imaginaire, que ce soit en créant un univers fictif par l’art, en utilisant des drogues ou en quittant la terre…


« Le vaisseau avance dans les constellations, on t’emmène en virée ma belle… Toi, tu voulais mes idées la veille, donc mes couplets ont quitté la terre » (Larmes de l'Étoile)


ZALEM. C’est aussi le nom du troisième projet de Luv, une réédition de l’album Étoile Noire (2021) : ZLM : Etoile Noire 2.0 (2022). Un joyau infusé de poésie. De tous les albums de Luv, c’est de loin mon favori.

 

Rockstar, mais à quel prix ?


ZALEM peut aussi être une métaphore de l’industrie musicale, un monde tentaculaire, où les serpents abondent. « Fais belek au serpent qui enseigne aux élèves » (Céleste) 


Le monde de la musique est un univers vénéneux. Un système venimeux, pour qui tombe dans ses rouages. En effet, l’industrie musicale n’en a cure de la santé mentale des artistes. Il s’agit avant tout de faire du chiffre. Au fil du temps, c’est un message que l’on déchiffre. « Tu leur parlais avec ton cœur, ils te parlaient de pourcentages », affirme Savage Toddy, le petit frère de Luv, dans son single Tout s’en va sauf les souvenirs, un vibrant hommage à son aîné. 


Les artistes sont déshumanisés, la santé est mise de côté. “J’ai quitté ma forme humaine, il fallait l’faire pour les tals” (Athéna) Ainsi, le stress se décuple, l’anxiété s’amplifie, à mesure que le succès grandit. Le jeune rappeur gagne un Disque d’or, avec la réédition de son album Étoile Noire (2022). Il entre dans les maisons de luxe et devient l’égérie de Lanvin, aux côtés de Bella Hadid. Les concerts font salle pleine. Les projets s’accumulent. Plus rien ne l’arrête. 


En pleine lumière, Luv finit par sombrer… 


Au cœur des paradis artificiels, on assiste à une véritable descente aux enfers. 


Resval consomme Les Fleurs du mal, tandis que son œuvre fait florès. Stress, anxiété, surmenage… L’exigence de l'industrie musicale, comme celle du monde professionnel en général, nécessite de mettre en péril sa santé. “C’est les Enfers à gauche ou bien la famine à droite” (Athéna) 


Face au succès, à la gloire, à l’argent, à la célébrité, les artifices se multiplient. Il est facile de cultiver une vie superficielle, même face à l’urgence de prendre soin de soi : de protéger sa santé physique et mentale. Derrière les oripeaux d’une société bling-bling, se cache une réalité beaucoup plus trash, triste et sulfureuse. Une vie mondaine factice, où l'on s’engouffre dans les souffrances et la détresse psychique.


Malheureusement, on trouve dans le rap game, des codes qui n’invitent pas vraiment au soin de soi. À de nombreux égards, le rap cultive une certaine glamourisation du vice. “Ils rappent la tess, mais ne parleront pas d’ceux qui vont souffrir / Mauvais grimoire, je bouquine sous shit” (Black Pearl) Apologie de la violence, consommation de substances, éloge de la « verdure », misogynie pure… Banalisation du crime. Ce sont des “codes” qui hélas ne rendent pas grâce à la mission initiale du RAP (Rythm And Poetry) : celle de bâtir une poésie engagée.


Dans le monde de la musique, on peut aussi rencontrer les bas-fonds de l’âme humaine. S’ensuivent alors de nombreux traumatismes et troubles psychiques.


Au fil des succès, la santé du jeune prodige se dégrade. Hélas, le génie fou est instrumentalisé, au profit des maisons de disques. À ses addictions, se joint l’affliction. Le poète récolte des lauriers, mais continue de consommer Les Fleurs du mal. Cette référence baudelairienne est bien évidemment une métaphore, employée par l’artiste, pour parler de “la verte”. Tandis que le sirop violet demeure son principal fantôme (“purple drank”). 


Telle une muse, la lean inonde ses lignes. La consommation de substances hallucinogènes est effective. La frontière entre réel et imaginaire est fine, donnant ainsi naissance à une œuvre d’un genre nouveau.


À suivre [...] Un article de Maureen KAKOU.


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