Quand on est auteur, on connaît nécessairement cette forte crise de la page blanche, où l’on se retrouve finalement là, sans réellement savoir quoi faire, ni de ses idées, quand on en a, ni de son stylo. Passage à vide pour certains, véritable fossé pour d’autres. Elle partage, somme toute, les plus audacieuses de ses angoisses. Et en cette période où la santé mentale est mise particulièrement à l’honneur, je ne pouvais pas faire autrement que de parler d’un auteur en particulier, un auteur phare pour qui on a l’habitude de me lire. Un auteur qui souffre, lorsqu’il crée déjà, et lorsqu’il vit ensuite. Mais comment vous le faire deviner ? Il triomphe en un soir seulement alors que d’autres pièces qu’il a pu écrire ne l’ont même pas fait tutoyer un peu de la renommée qu’il quêtait déjà dans sa chambre d’étudiant rue de Bourgogne, à Paris. Si je vous dis… « Ah non ! C’est un peu court, jeune homme ! » Hm, cela vous dit peut-être déjà quelque chose… Et si je vous adresse enfin une tirade ? Pas n’importe laquelle ! Celle des nez ! Et voici que cela vous vient : Edmond Rostand !
Edmond Rostand est né à Marseille en 1868. Dès son plus jeune âge on lui sait une certaine élégance revendiquée, qui ne le quittera jamais plus jusqu’à sa mort, en 1918. Il commence à écrire très jeune, finalement. Durant son adolescence, il tombe amoureux d’une jeune modiste à qui il souhaite faire la cour. Imitant déjà la trame de son Cyrano, il demande au poète attitré de la classe d’écrire un poème pour lui. Ce n’est qu’en 1894 qu’on commence à très légèrement entendre parler de lui avec Les Romanesques, pièce qui hume bon le romantisme et les belles intrigues Shakespeariennes. En 1889, il rencontre Rosemonde Gérard, sa future femme. C’est elle qui donne l’impulsion à son mari pour publier en 1890 ses Musardises, recueil de poésies de jeunesse. Ce ne sera pas sans avance d’auteur, mais… Au moins, le voici ravi. Pourtant, sa femme assiste véritablement parfois à des scènes douloureuses. En effet, Edmond est un inquiet. Dans sa plus tendre enfance, ses parents, et surtout son père Eugène, le reconnaissent de « constitution fragile ». Jules Renard, ami du couple Rostand, dira dans son journal : « Edmond Rostand a un bel atelier ; il n’y travaille pas ; il travaille dans une chambre à coucher, sur une petite table branlante. Il s’isole de plus en plus. Il nous trouve faux, menteurs, méchants et rapaces». Aussi, même s’il se laisse aller à la création, il s’y offre de telle façon que la tourmente va rapidement l’assaillir. Il n’est jamais satisfait ni de lui, ni de ce qu’il écrit, et jette régulièrement ses brouillons sur lequel il griffonne. Son public est en droit de se demander ce qu’il resterait de sa production poétique et théâtrale si Rosemonde Gérard, soutien de (presque) tous les instants précieux de sa vie, n’allait pas continuellement rechercher les brouillons écrasés en boules dans la corbeille de son mari. C’est le cas notamment de Cyrano de Bergerac. En tant que metteur en scène, il tient absolument à être sur la scène et diriger bien souvent comme il l’a entendu à la base, l’idée de sa pièce ainsi que le placement et la direction des comédiens. Lorsque la représentation joue, il est derrière le rideau. Il épie en petite fourmi chacune des réactions du public et s’assure que chaque intention de faire rire ou pleurer font mouche.
Seulement, en 1902, alors qu’il s’attèle aux répétitions de sa pièce L’Aiglon, il souffre de congestion pulmonaire et est contraint de prendre du repos. C’est là la fameuse « constitution fragile » qui est à l’œuvre. Ma foi, chers amis, pourrait-on seulement un jour s’assurer qu’une plume vienne à bout de son encre sans une fois trembler ?! Mais celle de Rostand titube presque. Outre ses manuscrits parfois indéchiffrables, Edmond va connaître, une fois installé dans sa célèbre villa Arnaga, au Pays-Basque, une période assez trouble, où le silence et la monotonie vont s’installer dans une famille composée d’un couple et de deux enfants. Il écrira à Sarah Bernhardt : « J’ai la migraine, je suis transi, et c’est tellement lugubre que je suis obligé de rire. Si je ne peux pas travailler cela deviendra infernal et je ne resterai pas ici. » Il faut le dire, Rostand est neurasthénique. A ce terme, le CNRTL/TLFi nous informe : « Syndrome associant des troubles fonctionnels : fatigue, céphalée, troubles digestifs, cardio-vasculaires, insomnie et des troubles psychiques: anxiété, irritabilité, tristesse, angoisse. ». Il s’agit toutefois de le reconnaître, Edmond apprécie le Pays-Basque. Lorsqu’on le traîne à Paris pour finaliser sa candidature à l’Académie Française, il écrira à Paul Faure : « Pourquoi je suis revenu au Pays-Basque ? Je n’en sais trop rien moi-même. Cependant […] Figurez-vous que, là-bas [ à Paris] il m’est arrivé d’éprouver quelque chose de vague […] qui ressemblait à de la nostalgie. ». Thomas Sertillanges écrit également :
« Sa dépression chronique, nous la trouvons déjà présente dans presque chaque page de ses premières lettres à Rosemonde. Il est tentant alors d’accuser la génétique si l’on se souvient que sa grand-mère paternelle était dépressive ; […] Cette neurasthénie […] se manifestait par des crises […] de recueillement, au cours desquelles le poète se cloîtrait des jours entiers dans sa chambre, les volets clos […] et ne rompant les longs silences où il s’emmurait, que pour exprimer la profondeur de son pessimisme sur toutes choses, et en particulier sur lui-même. »
Partant de ce constat, il est aisé de comprendre qu’Arnaga, maison créée pour le sublime de l’accueil, s’est vue contrariée par son propriétaire, même s’il l’entretenait farouchement. Effectivement, il passait son temps dans ses jardins, accompagné par une foule de domestiques et de jardiniers. Toutefois, il faut reconnaître que la neurasthénie de Rostand aura atteint, à force, sa famille. On l’a vu par la parole de Thomas Sertillanges, mais la dépression semblait à une affaire de famille. Jeanne, la sœur de Rostand, acculée sans doute par le même mal, mit fin à ses jours, et Maurice et Jean, les enfants d’Edmond, souffriront a posteriori, de l’absence d’un père. Rosemonde elle-même finit par s’éloigner de son cher mari.
Et Edmond Devint Rostand de Thomas Sertillanges à découvrir aux ÉDITIONS BOLEINE
Pendant la première guerre mondiale, Edmond n’a pas pu s’engager. Cela accentuera son malheur, lui, le fier patriote. Mais il mettra, à partir de ce moment-là, sa plume au service des soldats et du progrès technique. Devenant presque poète national de fait de son engagement auprès des poilus, il magnifiera le prestige de la France, en allant parfois même jusqu’à soutenir ceux qui tenaient le fusil. Il meurt en 1918 de la grippe espagnole, quelques mois après avoir assisté à l’Armistice de cette première affreuse guerre. Pour son bien, il n’aura pas pu assister à la seconde. Sans doute aurait-il été horrifié de voir ce qu’il s’y passera. L’occasion m’est donnée ici, avec l’illustration des maux de Rostand, de pouvoir insister sur le nécessaire accompagnement des personnes qui souffrent de ces troubles infernaux qui peuvent largement emmener une vie aux trente-sixièmes tartares.
Un article de Lucas DA COSTA.
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