Propos recueillis par Manon Lopez.
Un éditeur est-il un artiste ?
Je me pose cette question, car bien que l’éditeur soit, parfois, dans l’ombre de l’écrivain, il est celui qui construit la plume en devenir, matérialise, littéralement une création. Il crée, à sa manière, l’énergie d’un livre qui se retrouvera entre les mains des lecteurs.
Rencontrer Thomas Van Ruymbeke, qui a créé sa propre maison d’édition, les Éditions des Perséides, c’est aussi s’immerger dans un univers où l’éditeur a sa place d’artiste. Un œil vif qui lui permet de créer un catalogue à son image : original, référencé, et même audacieux. Pour ConstellationMag, l’éditeur revient sur son parcours et son expérience dans ce monde dont on ne connaît que très peu le fonctionnement, qui a tout de difficile, et à la fois, de merveilleux, car il s’agit d’une véritable « fabrique à plumes ».
Déjà, le nom de la maison d’édition interpelle : elle porte celui d’une maison de famille où Thomas allait pendant sa petite enfance, sur les hauteurs de Gigaro, près de la Croix Valmer. Tout naturellement, cette madeleine de Proust l’inspire à créer Les Perséides : « Comme une petite cabane faite de bric et de broc, qui est habité par toute une pléiade d'auteur.e.s qui l'ont meublée et décorée avec leurs histoires personnelles, leur imaginaire ou le travail de toute une vie. Je ne suis pas certain qu'elle soit plus solide qu'au début mais j'espère qu'elle a gardé son âme. »
Pour Thomas, tous les auteurs qui ont prêté leurs plumes aux Perséides font partie d’une constellation d’âmes qui ont laissé une trace de leurs parcours, de leurs idées, de leur poésie au fil des années au sein de ses pages qu’il a longuement lues.
Un éditeur, c’est avant tout un amoureux des livres, en tant qu’histoires, mais aussi en tant qu’objets. Je le sais bien, demander à un éditeur comme Thomas quels sont ses livres préférés est une question complexe. Mais, un célèbre auteur français se démarque : « Je suis un amoureux de Stendhal depuis que j'ai lu la Chartreuse de Parme. Je devais avoir dix-huit ans. Un livre qui m'a littéralement ébloui. Il y a tout ce que j'aime dedans, l'économie de style, la quête de "l'âpre vérité" (pour le citer), la richesse du matériau socio-historique, et surtout ce souffle romanesque qui vous emporte au-delà de vous-même. » Ce n’est pas étonnant : les Éditions des Perséides publient de nombreux livres d’Histoire et des essais. La ligne éditoriale est d’ailleurs de plus en plus orientée vers les sciences humaines, même si Thomas reste ouvert à la fiction.
D’ailleurs, son intérêt pour les sciences humaines ne l’empêche pas de s’émerveiller. C’est l’état que Thomas souhaite retrouver à l’ouverture d’un manuscrit. Un livre capable d’éveiller sa curiosité, de le surprendre. Revenir aux réactions presque spontanées de l’enfance face à la beauté, et se laisser ainsi porter par les émotions qu’elle génère : « Au-delà du plaisir à passer de l'autre côté du miroir (avec un risque de désacralisation du livre d'ailleurs, qu'il faut absolument combattre en restant un lecteur curieux et presque juvénile), je dirais, capable de s'émerveiller. C'est exactement ce que je cherche lorsque j'ouvre un manuscrit, littéraire en tout cas : la surprise, l'enchantement. C'est assez rare et c'est la plus grande joie de ce métier. »
Mais, tout n’est pas que joie dans ce métier.
Les métiers de l’édition sont complexes, et se lancer en tant qu’éditeur est une aventure romanesque avec son lot de péripéties. Pour Thomas, la principale difficulté tient au rétrécissement du marché et à la forte concurrence associée à des pratiques de lecture diminuées ou transférées vers les écrans : « On ne va pas se plaindre de la diversité culturelle, mais il est difficile d'avoir de la visibilité en librairie, même avec un excellent livre qui restera inévitablement noyé dans la masse. L'accès aux médias nationaux, et tout ce qui peut en résulter de positif et dynamique, est évidemment un problème pour un petit éditeur de province. »
Pourtant, l’éditeur n’est pas fataliste. Le métier pousse à se réinventer, à identifier nos propres limites pour les dépasser, et à déployer une certaine résilience qui permet de rester créatif malgré les aléas du monde de l’édition : « Même avec de petits moyens on peut exister, et il faut rester inventif. Je n'ai pas honte de dire que je travaille régulièrement dans un tout autre secteur d'activité (l'hôtellerie-restauration) pour faire bouillir la marmite, et tous les auteurs que je publie font de même, aucun ne vit de sa plume. Mais les petits résultats obtenus de haute lutte sont d'autant plus savoureux (je croise en ce moment les doigts pour une autrice présélectionnée pour un prix littéraire relativement important). »
Les Éditions Les Perséides ont toujours su rebondir face aux difficultés grâce à l’amour que son éditeur porte à ce métier. Ainsi, Thomas travaille depuis deux ans sur la traduction d'une Histoire globale des camps de concentration, qui révisait toute l'Histoire du XXe siècle et, qui au-delà du Goulag et de la Shoah, questionne aussi l'histoire des grandes démocraties occidentales : « Le programme 2025 est assez enthousiasmant, avec notamment le développement de la collection de poche, Atlantide, dont l'existence était une véritable gageure à la base et qui a tenu. Et parce que le livre de poche est, de plus en plus, le format que je prise. »
L’édition a également encore de beaux jours avec de nombreux jeunes auteurs qui proposent leurs œuvres à des éditeurs dans l’espoir de réaliser leurs rêves d’être publiés. Thomas a un conseil particulier qu’il aimerait leur transmettre : « Envoyez de préférence un manuscrit papier, ça change tout ! L'attention portée au manuscrit durant la lecture, bien sûr, mais aussi la possibilité pour l'éditeur qui n'a pas envie de passer la soirée devant un écran de le poser sur sa table de chevet. »
Enfin, une question qui boucle parfaitement cet entretien, surtout lorsqu’on pense à la figure de l’éditeur-artiste : « Aimerais-tu explorer la casquette auteur ? »
Pour Thomas, c’est une question qui fâche – avec un grand sourire bien sûr : « Non, pas parce que je serais un auteur frustré (une vieille arlésienne pour les éditeurs) mais parce que je me suis lancé un jour dans l'écriture d'un roman ambitieux reposant sur la trajectoire croisée de Klaus Barbie et Che Guevara en Amérique du Sud, et que les 5 premiers chapitres et l'esquisse des suivants ont disparu dans un "décès" d'ordinateur qui n'a jamais voulu restituer le fichier. J'avais particulièrement soigné le premier jet et n'ai pas trouvé la force de produire l'effort de mémoire nécessaire pour tout réécrire dans les semaines suivantes. Et après, c'était trop tard. On peut se consoler en se disant que ce n'est pas forcément une grande perte pour l'humanité ! »
Pour découvrir toutes les actualités des Éditions Les Perséides et son catalogue, n’hésitez pas à découvrir son site.
Un article de Manon LOPEZ.
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