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Constellation 

« Héritage » de Yakoub Abdellatif : la pièce testamentaire des harkis

Dernière mise à jour : 14 mai






Image tirée du Courrier Picard



Le 17 janvier dernier, l’écrivain et metteur en scène Yakoub Abdellatif présentait «  Héritage », sa dernière création, mise en scène par Olivier Mellor, au sein de l’espace culturel Jacques Tati d'Amiens.

 

Un nom qui annonce , d’ores et déjà, les enjeux majeurs de la pièce : la passation et le devoir de mémoire soit les thèmes privilégiés de l’homme de lettres.

 

En outre, Yakoub Abdellatif n’est pas un auteur comme les autres, il est aussi un homme engagé auprès de la commission nationale indépendante des harkis. Amiénois d’origine, le dramaturge est surtout un fils de harki dont il raconte ses souvenirs aussi bien sur scène que dans ses livres, notamment «  Ma mère dit chut » publié en 2017.

 

Dans «  Héritage », Yakoub Abdellatif propose une mise en scène aux limites du théâtre contemporain et de l’absurde. Les références poétiques et philosophiques ne manquant pas, la pièce nous transporte dans une odyssée lyrique aux accents philosophiques, devenant ainsi aussi inclassables que celles de Beckett à ses débuts.



Le temps des secrets, le temps des aveux



Le pitch est simple : un huis-clos épuré où Pierre ( Remi Pous ) et Karine ( Valérie Decobert) , un couple d’aixois vivent des scènes de vie provinciale jusqu’à ce qu’un fait divers ne vienne bouleverser leur quotidien. L’homme se voit obligé de révéler à son fils Nicolas ( Jonathan Brychny ) , le dernier personnage à faire son entrée sur scène, qu’il est enfant de harki. Une nouvelle fracassante pour le jeune homme de vingt-quatre ans qui s’apprête à ouvrir sa première pharmacie. Ce père, petit bourgeois français a donc menti toute sa vie par peur du jugement d’autrui. À cette déception quant à l’intégrité paternelle, s’ajoute des discussions autour du leg matériel qui apporte une plu value à l’intrigue. En effet, le spectateur ressent rapidement la volonté de Yakoub Abdellatif d’opposer l’héritage financier, terre à terre, à l’héritage culturel, ici inexistant puisque le père de famille a toujours renié ses véritables origines. Ainsi, nous venons à nous demander à quel moment notre héritage atteint sa pleine valeur. Si nous ne transmettons à nos enfants qu’une simple assurance-vie, aussi garnie soit-elle, tout en omettant de leur communiquer l’histoire de notre famille, pouvons-nous considérer que nous avons fait notre devoir de parent ? Il va sans dire que pour Yakoub Abdellatif, l’héritage n’est complet que lorsque le devoir de mémoire est dûment respecté.




Photographie d'harkis


 

Des trois protagonistes, le jeu du fils Nicolas, interprété par l’excellent Jonathan Brychny, se distingue, de par sa justesse et surtout de par sa subtilité. Le comédien parvient intuitivement à trouver le bon ton afin de ne pas tomber dans l’excès de zèle dont aurait pâti la dernière scène, véritable catharsis de l’œuvre. C’est une interprétation somme toute remarquée et remarquable qu’il nous livre, avec le naturel dont sont pourvus les plus grands dès leurs plus précoces débuts.

 

Une écriture intense qui flirte parfois avec le lyrisme, ainsi peut-on résumer « Héritage » au sortir de la représentation, nous poussant à nous questionner sur notre propre rapport au monde.

 


Quel héritage prime sur l’autre ? La question est ouverte dès que Pierre avoue à son fils la vérité sur ses origines et le reste par delà la fin du spectacle.

Si la pièce est vectrice de problématiques intemporelles : la transmission, le retour du fils prodigue, la place de la religion dans une famille, elle nous pousse à nous interroger sur tout ce qui à trait aux fondamentaux.

 

Nous pourrons retrouver «  Héritage » à Paris et en Province après le Festival d’Avignon pour le plus grand bonheur des amateurs d’un théâtre nouveau et des amoureux des mots.




Un article de Mélanie Gaudry.

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