Artiste au parcours hors norme, pédagogue passionné, chef d’entreprise autodidacte, Yanis Azaiez est doué pour effacer les limites entre les sphères et lancer des ponts dans les milieux du théâtre et du cinéma. Rencontre avec un jeune homme hyperactif, brillant et entier. Un passeur libre dont le sourire laisse entrevoir un supplément d’âme.
À 26 ans, Yanis cumule avec brio un nombre impressionnant de responsabilités : comédien, metteur en scène, réalisateur, directeur artistique, directeur d’une école, et enfin producteur. Sa singularité ? Une authenticité désarmante alliée à un pragmatisme qui ne l’empêche pas de conserver l’enthousiasme de l’enfance. Entre une représentation au Grand Point-Virgule et une réunion dans les nouveaux locaux de sa structure, Yanis nous accorde un temps précieux pour nous en dire plus sur son parcours, son école et ses différentes activités.
On ne naît pas comédien, on le devient. Très tôt, tu prends tes premiers cours de théâtre. Est-ce que cela a été une évidence d’en faire un métier ?
Pas du tout ! Jusqu’à 18 ans, c’était inconcevable pour moi. Au fond, j’en rêvais, mais je n’imaginais pas que ce soit possible d’en vivre. Ma mère m’a inscrit à des cours de théâtre quand j’avais 5 ans, j’ai adoré, depuis je n’ai jamais arrêté. Mais je ne viens pas d’une famille d’artistes et je suis d’un naturel prudent. Contrairement à beaucoup de jeunes qui choisissent de s’inscrire dans des écoles de théâtre et font tout pour devenir comédien, je n’avais pas le courage de me lancer dans un métier artistique. J’étais trop réaliste face à l’instabilité de la profession et à l’insécurité matérielle que cela représentait.
Et pourtant… quelques années plus tard, c’est toi qui donnes cours, au sein de ta propre école, à certains de ces jeunes, et moins jeunes ! Tout en étant devenu un comédien professionnel qui tourne toute l’année dans plusieurs spectacles. Que s’est-il passé ? Comment as-tu pris la décision de te lancer ?
Cela s’est fait progressivement, je n’ai jamais pris cette décision ! J’ai saisi les opportunités que m’offraient les personnes qui m’ont repéré et fait confiance. A 16 ans, j’avais intégré la compagnie Candice Comédie et je tournais dans plusieurs spectacles, tout en poursuivant mes études au lycée, puis en école de commerce. Trois ans plus tard, on m’a proposé de donner cours aux enfants et aux pré-adolescents, puis d’assister ceux dispensés aux adolescents et aux adultes. La transmission est devenue une passion. Grâce au succès des spectacles dans lesquels j’ai joué à l’époque et joue encore aujourd’hui, je me suis senti assez serein financièrement pour créer d’abord mes propres ateliers de théâtre, et enfin l’école Montmartre Production.
Montmartre Production propose des cours d’éveil théâtral à partir de 3 ans, des cours de théâtre et des cours de cinéma pour les enfants, les adolescents et les adultes, ainsi que des cours d’improvisation et une classe de semi-professionnels. Vous comptez 150 élèves chaque année. En quoi réside la particularité de ton école ?
L’ambition de Montmartre Production est d’ouvrir à tous les coulisses du théâtre et du cinéma. Sur une année, chaque groupe de cinéma crée un film en conditions professionnelles, du scénario au visionnage sur grand écran dans un cinéma. Chaque groupe de théâtre écrit et met en scène un spectacle complet qui se jouera dans un grand théâtre parisien. Notre pédagogie met l’accent sur le plaisir, la bienveillance, mais aussi l’exigence. Je pars du principe que l’on ne peut bien enseigner que ce que l’on maîtrise. Les neuf intervenants de l’école sont tous des professionnels actifs dans les milieux du cinéma, de l’audiovisuel et du théâtre. Notre but est d’accompagner la créativité de nos élèves dans la réalisation d’un projet commun, le plus librement possible, en évitant l’application de règles trop rigides ou de méthodes trop scolaires.
Y a-t-il des valeurs ou une éthique que tu défends particulièrement à travers ces enseignements ?
J’ai grandi dans le XVIIIème arrondissement de Paris, où beaucoup de cultures et de classes sociales se mêlent et cohabitent. Le partage dans la différence me tient à cœur et je soutiens un accès à la culture plus égalitaire. Je reste convaincu qu’on s’enrichit par ce qu’on offre. Depuis trois ans, je suis en contact étroit avec la mairie pour obtenir des subventions. Nous en avons reçu, mais pas suffisamment à mon sens. Sur le long-terme, le but est de pouvoir proposer des tarifs calculés selon le quotient familial pour les familles les plus démunies. En attendant, nos prix restent en-dessous de ceux du secteur et nous avons choisi de ne pas les augmenter depuis trois ans.
Montmartre Production est aussi une entreprise de production audiovisuelle et de spectacle vivant. Vous avez co-produit le court-métrage « Romy », primé au festival de Lisbonne en catégorie A. Tu as également produit et mis en scène le spectacle « Petits silences gênés », actuellement au théâtre Darius Milhaud. L’année 2024 va marquer un tournant pour l’ensemble de la structure. Peux-tu nous en dire plus ?
Oui, c’est une grande étape. Nous emménageons actuellement au sein d’un lieu de 120 m2 à Montmartre, qui s’appellera Montmartre Acting. Ce sera un endroit de rencontres 100% pro. Il y aura de la co-réalisation, de la co-production, ainsi que la mise à disposition d’espaces pour les entreprises de production audiovisuelle. Mais aussi pour des répétitions professionnelles de théâtre, ou encore pour des shootings photos. Tous les cours de l’école Montmartre Production se dérouleront désormais à cette adresse, et ce dès la rentrée de janvier. Je suis très heureux d’être à l’initiative de ce projet qui va fédérer des rencontres et sera axé sur le professionnalisme et le partage.
A 25 ans, tu fêtais ta 500ème représentation. Deux ans plus tard, en avril prochain, tu joueras pour la 1000ème fois. Qu’est-ce que ça représente pour toi ? Et comment réussis-tu à tout mener de front ?
Le cap de la 1000ème représentation est très symbolique pour moi, j’en suis ému car pour certains, cela représente trente ans de carrière. J’ai continué à jouer tout en développant l’école et pour cela, j’ai dû limiter le nombre de places. C’est un choix. J’ai réussi à déléguer la plupart des cours de théâtre, mais je continue à m’occuper du cinéma, et je ne dis jamais non si un élève ou un parent d’élève souhaite me parler directement. Ce n’est pas toujours facile à suivre pour les personnes qui travaillent avec moi dans l’école, mais une belle équipe me soutient. Pour ce qui est de la partie administrative et financière, c’est mon associée, Juliette Bellest, qui s’en occupe et m’enlève un poids énorme. Ce ne serait pas possible autrement. Pour me ressourcer, je passe chaque jour trois à quatre heures seul, dans le calme, à créer mes cours en écrivant, lisant, et effectuant des recherches. C’est un bonheur pour moi et j’ai vraiment besoin de ces sas pour décompresser.
Quel est ton rythme de travail ?
Je travaille sept jours sur sept ! Tous les matins, de 10h à 13h, je suis une formation intensive de direction d’acteurs, avec quelques grands metteurs en scène actuels, au théâtre Rive Gauche. L’après-midi, je m’occupe des différentes structures maintenant réunies au sein de Montmartre Acting, et le soir de mes élèves. Je continue à jouer dans « Ados » au théâtre du Grand Point-Virgule, pendant les vacances scolaires et les week-ends pendant le reste de l’année. En 2024 et 2025, je vais également repartir en tournée avec ce spectacle dans toute la France. Je n’ai pas un seul jour de repos, mais je suis jeune et je m’en sens capable. Parfois, j’envie certains amis de mon âge qui n’ont pas le désir de construire une carrière et ont déjà fait le tour du monde. Je n’ai pourtant pas de regret. Je voyagerai peut-être à 40 ans ! En attendant, je m’investis entièrement dans ma passion.
Saurais-tu dire pourquoi on t’a fait confiance si tôt ? Ce qui a fait ta différence ?
Très jeune, j’ai compris que l’on recevait à la mesure de ce qu’on offrait. Cela vient peut-être en partie de mon éducation. J’ai eu la chance de baigner dans une triple culture : française, tunisienne, et basque. Je suis également l’aîné d’une grande fratrie. Hypersensible, j’ai aussi ressenti très vite l’importance de l’investissement personnel. L’état d’esprit et l’énergie dans laquelle on travaille sont primordiaux. Rester soi-même, se montrer disponible et demeurer bienveillant permet aux opportunités de s’ouvrir. Finalement, c’est ce qui crée la différence dans ce milieu, comme ailleurs. Je doute évidemment et je crains toujours l’échec, mais quand je le rencontre, je l’accepte entièrement. Si je dois me prendre un mur, je le prends, et jusqu’au bout ! Tout en restant rationnel. Par la force des choses, je crois que lorsque tu ne triches pas, quand tu restes vrai, les gens le ressentent et te soutiennent. Je travaille aussi beaucoup. Dans les milieux artistiques, souffrir du syndrome de l’imposteur est récurrent. Je mets un point d’honneur à ne transmettre que ce que j’ai traversé, intégré, et enseigne uniquement ce que je pratique.
Les mondes du théâtre et du cinéma sont difficiles. L’authenticité n’est pas toujours au rendez-vous. Est-ce un frein pour toi ? Y en a-t-il d’autres ?
C’est un milieu où le réseau prime, c’est bien connu. On travaille entre amis et moi le premier, j’ai tendance à favoriser les gens avec qui j’ai déjà eu de bonnes expériences. Question de confiance, d’amitié aussi. Pour étendre son réseau, il faut être en rapport permanent avec les autres, entretenir des relations qui ne sont pas toujours sincères et qui ne seront pas forcément fructueuses d’un point de vue artistique. C’est assez épuisant. J’avoue que je ne joue pas assez à ce jeu-là et passe ainsi à côté de castings et de propositions intéressantes. A un niveau extrême, le revers de la célébrité qui peut amener un manque de vie privée et d’intimité me fait un peu peur. Pour moi, l’interprétation d’acteur trouve son but premier dans la jouissance d’endosser un rôle et d’incarner un personnage, pas dans une reconnaissance publique qui pèse parfois trop, aussi bien pour les artistes que pour le public.
Vers quels autres rôles, quels autres thèmes souhaiterais-tu évoluer ?
Je me suis énormément investi dans mon école ces trois dernières années, cela a pris beaucoup d’espace. A l’avenir, je souhaiterais aller vers des textes plus profonds qui m’inscriraient donc dans des interprétations plus complexes. Le couple est un thème très exploité au théâtre, j’aimerais explorer davantage celui de l’amitié, ou encore la relation père-fils. Dans tous les cas, le plus important pour moi est de garder la liberté et l’épanouissement dont je bénéficie actuellement. C’est un luxe de gagner sa vie en touchant les gens et en les faisant rire. Même si forcément, il y a des jours où je suis moins en forme que d’autres, je m’émerveille de la chance que j’ai à chaque passage sur scène.
Quels sont les auteurs ou réalisateurs qui t’ont marqué ?
J’aime le théâtre classique. Quand j’étais petit, aller à la Comédie française me faisait davantage rêver que d’aller voir un film au cinéma ! Plus récemment, le dramaturge Jean-Luc Lagarce me touche profondément. Sa façon de manier les mots me remue beaucoup. J’aime aussi le réalisateur Xavier Dolan pour son hypersensibilité, sa rigueur, et son goût pour le détail. Tout le monde est capable de raconter une histoire. Notre métier prend vraiment sens lorsqu’on entre dans le détail. Si on le fait intelligemment, on peut se distinguer.
Pour terminer, est-ce qu’il y a un message que tu voudrais faire passer ?
Au milieu de tout ce qu’on traverse actuellement, le partage à travers l’art me semble primordial. Si j’en suis là aujourd’hui, c’est parce que j’ai donné et qu’on m’a donné en retour. Donner, c’est recevoir. Je crois que c’est le moteur.
Un article de Marine FIRMIN.
Quel bonheur, de lire ce condensé de ton parcours si riche. Quel bonheur également d'avoir traversé ta route autour de la création pendant ces quelques années d'enfance et de pré adolescence où tu venais à mon atelier. Je retrouve nos points communs entre la création, le théâtre et la Tunisie de ma maman. Au plaisir de te revoir au sein de mon nouveau chalet créatif à Riom.
Isabelle Frégonèse