Maïwenn, Audrey Dana, Emmanuelle Bercot, Diane Kurys Agnès Varda et j’en passe, toutes sont réalisatrices au cinéma, bien qu’elles soient encore en minorité aujourd’hui. Ces noms parlent à beaucoup, mais connaissez-vous celui d’Alice Guy ? Elle est pourtant la toute première réalisatrice de notre histoire, et beaucoup la découvre souvent par hasard, à l’instar de Sandrine Beau, autrice notamment sur la réalisatrice , comme elle me l’a confiée : « J’ai découvert Alice Guy, quand j’étais étudiante. Passionnée de cinéma, je dévorais les encyclopédies et les livres sur ce sujet, et voilà qu’un soir, je tombe sur un téléfilm de Caroline Huppert, intitulé « Elle voulait faire du cinéma ». J’apprends donc tout à la fois que la première réalisatrice de fiction au monde était une femme, que cette femme a eu une vie incroyable, moi, qui dévorais tout ce qui était en lien avec l’histoire du cinéma, je n’en avais JAMAIS entendu parler »
Un destin non tracé d’avance
La petite Alice Ida Antoinette Guy née le 1er juillet 1873 à Saint-Mandé et rien ne la prédestinait à être l’une des pionnières du cinéma. Son père possédait une chaîne de librairies au Chili et sa mère s’occupait de ses frères et sœurs. Ballottée de la Suisse au Chili où vit la famille, c’est en France qu’elle commence à travailler en tant que sténodactylographe. Elle sera ainsi la collègue de Léon Gaumont au Comptoir général de la photographie, et sera l’une de ses collaboratrices quand celui-ci achètera ensuite la société.
En mars 1895, Alice Guy est invitée avec son patron à une projection privée des frères Lumière et cela lui restera en tête. À la suite de cela, Léon Gaumont, qui n’a aucunement envie de se lancer dans le cinéma, envisage de vendre des « appareils de projections animées », mais cela ne prend pas comme il l’espérait.
Le sauveur fut une sauveuse
Pour éviter un fiasco, la jeune femme a l’idée d’offrir en cadeau avec le matériel des petits films à l’instar de « L’arroseur arrosé » et son patron lui donne l’autorisation d’essayer, mais en dehors des heures de travail. En 1896, celle qui s’auto-proclamait « Directrice de prises de vues » présente les 50 secondes de « La fée aux choux », la première réalisation cinématographique d’une femme. Ce film est disponible de nos jours gratuitement sur la plateforme FranceTv pour les plus curieux.
Alice Guy continuera d’être une pionnière dans cet art, tournant entre 1898 et 1899 le premier péplum avec des scènes de la Passion du Christ, complété en 1906 par un film de 30 minutes avec pas moins de 300 figurants et 25 tableaux. C’est également elle qui fait tourner le premier making-off et nombreux de ses films évoque le thème du féminisme et de la lutte des sexes.
L’épopée américaine
En 1907, Alice se marie et suit son époux aux Etats-Unis, là où l’infatigable innovatrice va créer rien de moins que son propre studio et sa société Solax Film Co. Avant l’avènement d’Hollywood, c’était l’une des plus grandes maisons de production, accueillant même en ses murs La Métro ou la Goldwyn à leurs débuts.
Elle tournera là-bas des westerns, des films ancrés dans son époque comme « A fool and his money » en 1912, premier film réalisé uniquement avec des acteurs afro-américains, car les blancs ne voulaient pas être à leurs côtés.
A fool and his Money (Alice Guy, 1912)
Une fin loin des écrans
Après des années de travail, de réalisation et de production, c’est le début de la fin en 1917 quand le cinéma devient déjà une grosse industrie et s’installe à Hollywood. Elle divorce également en 1922 et doit éponger les dettes du studio dues à la mauvaise gestion du studio par son mari et ne réalisera plus rien ensuite.
Elle finira ses jours entre la France et les Etats-Unis, donnant tout de même quelques conférences sur le cinéma organisée par ceux qui ne l’ont pas oubliée et décédera en 1968 à l’âge de 94 ans.
Soulignons tout de fois qu’elle n’est pas tombée dans l’anonymat total, le Prix Alice Guy, seul prix à récompenser la réalisatrice de l’année a été créé en 2018 par la journaliste Véronique Le Bris et un hommage lui a été rendu en 2013 à la cinémathèque en diffusant huit de ses courts-métrages avant chaque séance du 1er juillet. Sandrine Beau a elle aussi voulu la réhabiliter avec son livre : « Vingt ans après ma découverte, je suis devenue écrivaine, et très vite, j’ai eu envie d’écrire sur Alice Guy. Cette créatrice si inventive était toujours inconnue - il n’y avait ni livre, ni documentaire sur elle. J’ai donc décidé de réparer cette injustice, et de la mettre en lumière pour que les enfants, les adolescents (et leurs parents), la découvrent à leur tour. »
Un article de Patsy MONSOON.
Bibliographie pour aller plus loin :
La fée cinéma – Autobiographie d’une pionnière d’Alice Guy paru chez Gallimard.
La première femme cinéaste : Le journal d’Alice Guy chez Belin jeunesse par Sandrine Beau et Aline Bureau
Alice Guy, un roman graphique de José-Louis Bocquet (scenario) et Catel (dessins) publié chez Casterman.
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