Sophie Germaneau : Une enfance plongée dans un univers littéraire restreint, Aline Duret fait tout pour créer un monde avec les quelques ouvrages qu’elle a à sa disposition : c’est ainsi que son imaginaire va prendre une place qu’elle ne soupçonnait pas.
Aline Duret : D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été attirée par les livres. Mes parents, tous les deux ouvriers, n’ont pas eu la chance de pouvoir faire de longues études ni d’avoir accès à la culture. Il y avait très peu de livres à la maison et je me souviens, à chaque fois que j’allais faire les courses avec ma mère, je me retenais de lui demander un nouveau livre, car je savais, ou du moins, je pensais qu’ils n’avaient pas les moyens. Aussi je lisais et relisais les quelques livres que j’avais sur mon étagère. Je cherchais les mots dans le dictionnaire pour mieux comprendre les histoires et je passais des heures à observer comment elles étaient écrites, faute de pouvoir lire de nouveaux livres. Sans doute est-ce pour cela que j’ai commencé à imaginer des tas d’histoires. Sans doute et que plus tard je me suis lancée dans des études de Lettres. Mais tout ceci ne s’est pas fait sans difficulté car la maladie qui affecte mes yeux a toujours été un obstacle conséquent. Il fallait toujours trouver des solutions pour pouvoir lire avec des loupes de plus en plus puissantes. J’ai toujours écrit des histoires dans des carnets sans jamais les publier. Ce n’est qu’en 2017 que j’ai franchi le pas.
S.G. Après une vocation pour la gendarmerie contrariée par un handicap grandissant, Aline Duret décline sa relation avec ce corps de l’armée en fiction littéraire.
A.D. Pour moi, il ne fait aucun doute que l’écriture de thrillers est liée à la profession que je rêvais d’exercer : je voulais être gendarme. Avant d’écrire mon premier roman policier, je n’avais lu que très peu de polars. En revanche, j’avais écouté de nombreux Agatha Christie en livre audio, faute de pouvoir les lire en version papier.
J’ai écrit mon premier roman, Les ombres de l’Erdre avec l’aide d’un gendarme de la brigade de Carquefou. Il m’a beaucoup aidée, notamment dans tout ce qui a trait à la procédure judiciaire. L’un de mes deux héros gendarmes est directement inspiré par cet ami. Je sais que nombreux gendarmes de la brigade de Carquefou ont lu mes romans et les ont appréciés. Le lieutenant de la brigade de Carquefou était venu me voir pour la sortie de mon deuxième livre. Il m’avait demandé une dédicace après les avoir lus. J’en avais conclu qu’il les avait également appréciés. Il y a un an et demi, j’ai été contacté par le ministère de l’Intérieur qui avait eu vent de mes enquêtes mettant en scène un duo de gendarmes. Le Ministère avait alors tenu à mettre mes ouvrages en valeur par le biais de chroniques sur leurs réseaux sociaux et sur leur site Internet. Et j’en suis particulièrement fière car le métier de gendarme et une profession que j’admire. Même si j’adore mon métier d’enseignante en Lettres, j’ai toujours un pincement au cœur en songeant à la carrière de gendarmes, que je n’ai pas pu faire en raison de la maladie.
S.G. Après 4 premiers thrillers, L’écho du silence, le nouveau roman d’Aline Duret, connaît déjà un réel succès depuis sa sortie le 15 mars 2024 : une intrigue sombre au cœur de la cité médiévale de Guérande, remplie de huis-clos mystérieux et d’un réel suspense.
A.D. Ce roman est inspiré de mes nombreuses lectures d’Agatha Christie. J’ai imaginé une intrigue en huis clos au sein de la cité médiévale de Guérande, et plus précisément dans le manoir de la Prévôté. Une sombre affaire de famille, de rancœur et de rivalité, mais comme pour chacun de mes romans, il faut attendre la fin de l’histoire pour comprendre toute l’ampleur de la situation. J’ai tendance à voir mes romans comme des puzzles ; il faut attendre la dernière pièce pour en saisir l’ensemble. C’est pourquoi, la conception de l’intrigue est rigoureuse. Rien n’est laissé au hasard, le lecteur qui passerait un peu trop vite ne serait pas en mesure d’apprécier tout le travail effectué en amont pour obtenir le résultat final. J’encourage donc les lecteurs à relire. Pour écrire ce livre, je me suis beaucoup documentée sur la cité médiévale, et je me suis notamment rendue sur place à de nombreuses reprises pour m’imprégner de l’atmosphère si particulière de cette ville close, j’ai pris des notes, j’ai filmé les ruelles étroites, je me suis installée dans les cafés pour écouter les conversations des gens qui habitent la cité, j’ai consulté les archives afin d’être au plus proche de la réalité. Avant d’écrire, je dessine, je réalise des plans et j’imagine à la manière d’un film l’histoire que je m’apprête à écrire. Cela demande beaucoup de concentration.
S.G. Cependant, Aline Duret change radicalement de trajectoire avec son roman Un voisin d’enfer destiné à la jeunesse ; comment est né ce roman en totale opposition avec l’enquête de gendarmerie ? Y aurait-il un lien un lien avec son statut de professeur de français en lycée, ou naît-il simplement de la demande de son lectorat ?
A.D. J’ai répondu essentiellement à une demande de mon lectorat adulte pour leurs enfants. J’ai donc décliné l’une de mes histoires de manière à ce qu’elle puisse être lue par des enfants, à partir de neuf ans, et je me suis prise au jeu car désormais j’ai envie d’en écrire d’autres… un voisin,relate l’histoire de tout un quartier de personnes âgées qui voit arriver d’un mauvais œil, un jeune « con ». C’est ainsi qu’ils l’appellent. En effet, le jeune perturbe la tranquillité du quartier. Pire, il ronfler sa moto à 4 heures du matin, sous les fenêtres des petits vieux, pour les faire enragés. Trop c’est trop, les tentatives de médiation ayant échoué, les anciens se réunissent, bien décidés à ce que l’importun quitte leur quartier, les pieds devant ou derrière ! Ce roman jeunesse a très bien été accueilli, il est à la fois drôle et glaçant. Cela reste un thriller… Il permet de s’interroger sur les rapports entre les jeunes et les moins jeunes, et les limites à ne pas franchir avec le voisinage.
J’enseigne dans un lycée, mais n’est pas vraiment ce qui m’a décidée à écrire cet ouvrage. C’est plutôt la demande de mon lectorat adulte pour leurs enfants. Après avoir longuement échangé avec quelques-uns, je me suis laissée tenter par l’aventure et je ne regrette pas, car les retours de mes jeunes lecteurs sont très positifs et me donnent envie de poursuivre l’écriture de romans jeunesse.
S.G. Un handicap visuel soumet Aline Duret à un matériel spécifique et lui impose d’être entourée par sa famille et des professionnels pour la soutenir dans la qualité de son travail d’écriture.
A.D. Je suis atteinte d’une maladie dégénérative congénitale qui affecte mes yeux. Aujourd’hui je ne dispose plus que de 1/10 avec correction, ce qui est à la fois peu mais beaucoup au regard de certains de mes amis non-voyants. Alors je mesure la chance que j’ai encore de pouvoir lire et écrire même si c’est parfois très difficile et décourageant. Je m’organise. Je m’équipe de matériel adapté. Pour écrire mes romans j’utilise mon iPad auquel je dicte le texte. Ensuite l’iPad me relit et me corrige mais la maladie a tellement progressé que je suis désormais obligée de me faire aider, notamment par mon conjoint, mais aussi par Sophie Germaneau, tous deux très sensibles au handicap. Afin de ménager ma vue, j’essaie d’écrire le plus possible avec un crayon, mais je ne peux lire que le feutre, ce qui pose beaucoup de soucis de relecture. Parfois je n’arrive plus à me relire, et cela me rend triste, vraiment. Je me suis fait la promesse de continuer à écrire jusqu’à ce que mes yeux me les permettent et j’aimerais, dans quelques temps avant la possibilité d’engager une personne pour m’aider à écrire, mais pour cela il faudrait que je vende davantage de romans pour pouvoir financer cette aide ; j’envisage par ailleurs d’apprendre le braille d’ici quelques mois, mais cette décision est difficile à vivre comme vous vous en doutez, il s’agit d’une nouvelle régression pour moi.
S.G. Les témoignages et les encouragements de ses lecteurs sont la force qui l’aident à ne pas sombrer.
A.D. Régulièrement, j’ai envie de baisser les bras, je me dis que tout cela ne sert à rien, que je fatigue mes yeux, mais les témoignages et les encouragements de mes lecteurs tout confondus me donnent la force et l’énergie de continuer. Sans mes lecteurs ni mon entourage, il est fort probable que j’aurais baissé les bras et cessé d’écrire.
S.G. Son rêve serait que les éditeurs et les libraires proposent tous des ouvrages en grands caractères aux lecteurs malvoyants.
A.D. Mon rêve serait que tous les livres publiés soient déclinés en petite quantité en grands caractères et notamment les livres qui obtiennent des prix. Je trouve cela injuste qu’une personne en situation de handicap n’ait pas accès à leurs livres ou doivent attendre parfois des années alors que les prix génèrent des sommes substantielles. Je ne comprends pas que les maisons d’édition ne fassent pas ce petit effort qui ne leur coûterait que très peu en temps et en argent. Par ailleurs, il est à noter que décliner les livres en grands caractères permettrait aux maisons d’édition et aux librairies de conquérir tout un lectorat. Quant aux libraires, ils sont souvent réticents à accueillir les livres en grands caractères sur leurs étagères justifiant qu’ils prennent de la place et qu’ils ne se vendent pas. Mais comme je le dis souvent c’est un peu l’histoire de la poule et de l’œuf. Les malvoyants ne vont généralement pas dans les librairies car ils savent qu’il n’y aura pas de choix pour eux et les libraires disent qu’ils ne proposent pas de livres en grands caractères, ou seulement quelques exemplaires parce peu de lecteurs malvoyants poussent leurs portes. Alors que faire face à cette situation ? Poser une obligation légale ? Rappelons qu’avant la loi récente qui oblige les magasins à installer une rampe devant leur boutique, très peu de commerçants pensent aux personnes qui n’avaient pas la possibilité d’accéder à leurs magasins. De nombreuses personnes viennent me voir en dédicace pour me faire part de leur souffrance de ne pouvoir lire comme tout le monde, parfois ce sont des enfants qui viennent pour leurs parents et qui me disent qu’ils ont renoncé à lire, qu’ils se contentent de la télévision, et que cela les peine. À l’heure où nous parlons d’inclusion en France, il me semble qu’il reste encore beaucoup de chemin, mais je ne désespère pas. J’essaie de profiter de mon statut d’auteur pour faire entendre la voix de ceux qui aimeraient tant pouvoir lire.
S.G. Pour Aline Duret, ce sont les médias qui permettent de sensibiliser le public aux difficultés des personnes malvoyantes d’accéder à la lecture.
A.D. Intervenir dans les médias est important pour moi, car cela me permet de faire entendre aux professionnels du livre qu’il y a des personnes malvoyantes qui rêvent de pouvoir lire comme tout le monde et qui souffrent de ne pouvoir le faire. Lorsqu’on n’est pas confronté au handicap, on n’y pense généralement pas. Les médias sont toujours très réceptifs et très sensibles à la cause que je défends. Je tente de montrer par mon expérience que les personnes en situation de handicap ont des rêves elles aussi, qu’elles essaient de les accomplir malgré les difficultés et qu’il serait bon de les aider à aller au bout de leurs rêves.
S.G. Aline Duret a besoin du contact avec les lecteurs et les auteurs : entre séances de dédicaces, conférences, animations d’ateliers d’écriture, elle sort de sa solitude d’écrivain pour partager, échanger et apprendre de ses rencontres.
A.D. Le contact avec les lecteurs est primordial. Comme je vous l’ai expliqué, sans mes lecteurs qui me soutiennent et m’encouragent, j’aurais baissé les bras face à la maladie qui progresse et je n’écrirais probablement plus de romans. Ce sont eux qui me donnent la force de continuer, au travers de nos échanges, de nos rencontres et des petits mots qu’ils m’envoient sur les réseaux sociaux. J’avais également écouté ce qu’ils avaient à me dire pour progresser dans mon écriture, mais aussi pour m’inspirer car les lecteurs ont toujours beaucoup d’imagination et me font des suggestions que je note soigneusement dans mes carnets. Il m’arrive de réinvestir des idées qui m’ont été soufflées au gré de ces rencontres. L’écriture est un travail solitaire qui est parfois pesant. Lorsque je suis dans mon bureau et que j’écris, je songe à tous les moments agréables qui s’en suivront avec toutes ces belles rencontres que l’écriture va engendrer et c’est pour moi l’essentiel. Les lecteurs sont de plus en plus nombreux à venir à ma rencontre dans la rue et à me faire part de leurs lectures de mes romans et je trouve cela formidable car ils en parlent avec beaucoup d’enthousiasme et bienveillance.
S.G. Son lectorat fidèle ne s’arrête pas à la lecture des romans mais prend conseil auprès d’elle dans le domaine de l’écriture. Une vraie valeur ajoutée pour Aline.
A.D. Oui, j’ai la chance d’avoir un lectorat extrêmement fidèle qui attend avec impatience chacun de mes romans. Et il ne cesse de grandir au fur et à mesure des publications. Les retours sont toujours très positifs et encourageants. Certains me soufflent même des idées d’intrigues. De plus en plus d’auteurs me contactent en messages privés pour me demander des conseils. J’essaie de répondre à chacun et de leur accorder de l’attention malgré la fatigue visuelle.
S.G. Aline Duret à deux grands projets, et pas des moindres : de la littérature à la télévision.
A.D. Je vais faire une pause, en ce qui concerne l’écriture de roman policier pour me tourner vers le Feel Good, histoire de ne pas être enfermée dans une catégorie littéraire, et je travaille en ce moment avec Sophie Germaneau sur l’adaptation de L’écho du silence pour la télévision. J’ai également un autre projet d’écriture de roman policier, mais il faudrait que mes journées fassent au moins 48 heures pour que je puisse mener tous ces projets à terme.
S.G. Aline incite les jeunes auteurs en devenir à croire en leurs rêves.
A.D. Je conseille aux jeunes auteurs de se faire plaisir avant tout, de ne pas succomber aux peurs car elles sont extrêmement limitantes. L’imagination ne doit pas avoir de frontières. Je suis bien placée pour dire qu’il faut croire en ses rêves et aller jusqu’au bout.
Une interview de Sophie GERMANEAU.
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