Événement attendu par les professionnels du cinéma, le Festival de Cannes a le don de réunir sous un même soleil misère humaine et réussite absolue. Un peu comme Ibiza au temps où les vols low-cost ne s'étaient pas encore vulgarisés et que les beaufs étaient encore parqués dans les campings étoilés.
Aussi, se révèle t-il fort difficile pour un œil non avisé de distinguer qui est légitime de qui ne l'est pas, ce qui se vérifie sur Wikipédia ou ce qui relève d'un snobisme rendu grandiloquent par l'ivresse cannoise et l'excitation de la vie en entre-soi.
Car à Cannes plus qu'ailleurs, territoire où Coppola père s'habille comme un employé Ikea et où les figurants brandissent leurs piètres "filmos" pour s'inviter aux projos, l'inversion des valeurs est le maître mot.
L'envers du paradis
Rocancourt illustre pleinement ce phénomène.
Un escroc au regard bovin, porté aux nues au point d'en faire un biopic, on est en droit de se demander comment le cinéma français a pu tomber si bas. D'autant plus quand l'escroc en question possède le charisme d'une star de court-métrage étudiant et que les sujets ne manquent pas. À quand une web-série sur la sordide Maison du Caviar ou encore un documentaire sur les frasques de Mickaël Youn dans les toilettes de chez Castel ? Allons savoir.
Sans surprise, pour cette édition 2024, la véritable tête d'affiche n'est ni un film d'auteur ni un quelconque blockbuster mais bien le scandale sexuel le plus cru et le plus crasse. L'affaire Weinstein à la sauce française, certainement moins marquante mais tout aussi illustratrice de la position bancale de la femme dans une industrie qui tend à la réduire à l'état d'objet. La fille de Judith Godrèche déambulant l’œil hagard et le soutif’ absent en est l’image conscientisée. Désormais, le glamour n’excite plus personne. Le cinéma l’a censuré. La vulgarité crasse d’un fantôme de femme rendue facile par non plus par ses manières délurées mais par la came ingurgitée.
Comme Voldemort dans les premiers tomes d'Harry Potter, l'ombre de la liste des grands noms impliqués dans différentes affaires sexuelles plane sur la Croisette sans que quiconque n'ose la mentionner.
Sobre tout au moins. Et pour cause, si l'alcool ou la farine délient les langues et désinhibent les mentalités, puisqu'en off, les uns se targuent d'avoir toujours su tandis que les autres les tournent en dérision. On assiste à la confrontation entre le nouveau monde, celui où la parole de la femme est sacralisée coûte que coûte ; et l'ancien monde, réac et misogyne, qui tend à confondre bagatelle et agression sexuelle.
Cannes analyse moi …
Le Festival de Cannes équivaut à un championnat d'âmes égarées.
Au bar de l'hôtel Martinez, les Spritz évincent les cigares et rien ne dissipe la fumée. Je suis assise entre un producteur lubrique qui veut me faire jouer dans son prochain nanar et un scénariste sans cv qui se prend pour le prochain Pascal Jardin. À la table voisine, mon ex, complètement défoncé, prend la pose dans les bras de mon escroc préféré. Je regrette alors le très soporifique Festival de Deauville où les vieilles journalistes mendient les selfies. Au Normandy, les langoustines sont servies avec de la mayonnaise chose qui rend cette débâcle acceptable.
Le problème avec Cannes, c'est que lorsque le soleil se fait la malle, les escorts qui confondent leurs lunettes de soleil Céline avec un serre-tête vous flanquent la nausée. C'est comme les soirées yacht où mondains, starlettes et désœuvrés s'agglutinent pour en faire une story. Sous la pluie, lorsque deux ķaïras tentent de vous voler votre parapluie hors de prix, Cannes prend des allures de poisson pourri. Les employés de France télé qui cohabitent avec des loubards, des influenceurs qui déambulent aux côtés d'acteurs césarisés. Le parisianisme à la rencontre de la précarité, la débilité absolue face au gratin du cinéma français, le ying et le yang, l'abbé Pierre et Goebbels.
Une mouette vient d'emporter un rat de deux kilos dans les airs. Les Nobel de Tik Tok dégainent leurs smartphones, un cameraman de France 3 raconte qu'il a été témoin d'un fait similaire à Toulon l'été dernier et moi, je me planque sous mon parapluie Chanel. Mieux vaut se le faire arracher plutôt que de se prendre un rat dans la gueule à deux pas du Palais des Festivals.
La projection de Motel Destino laisse pantois. Un mélange de pornographie et de violence, de scènes torrides à gros plan et de sang qui gicle. Les uns toussotent, les autres se taisent, l'excitation succède à la nausée et vice versa. Jacky et Michel semble s'être installés au Brésil, dans un F1 aux allures du Bates Motel. J'en sors vacillante. Si le film a la palme, Francis Lalanne a toutes ses chances aux Européennes. Les commentaires sont dithyrambiques ou ne sont pas. On voit du beau dans le laid, des messages cachés dans les plans séquences où les personnages se chevauchent, on analyse le terre à terre comme on examinerait les intentions de la mouette tueuse de rats.
Parfois, mieux vaut rester dans l'ignorance.
L'enregistrement de Quelle époque est sur la Croisette ! L'enregistrement de Quelle époque est sur la Croisette !
La famille Tuche qui se photographient devant la devanture de Dior a un orgasme. On touche le fond. J'ai du mal à simuler l'indifférence. Mon fou rire s'entend jusqu'au fin fond de l'hôtel monégasque où je séjourne. Cette année, mon Festival aura vraiment commencé à cet instant, confrontée au paradoxe humain propre à Cannes qui sait si bien rameuter le manant et l’intello, le chic et le prolo. Je ne cherche pas le bonheur ni l'extase cinématographique. Celle-ci a déjà eu lieu en 1998 avec le merveilleux Titanic de James Cameron et je laisse l’infidélité aux hommes sur le retour d’âge. Pas suffisamment pique-assiette pour me complaire à ramener mon cynisme dans les soirées prisées et trop snob pour ne pas y jouer les guests, le Festival de Cannes exacerbe les dualités au point de ne plus vraiment savoir qui on est. Et si l’ombre de la triste liste plane, on ne saurait oublier combien il était noble le cinéma d’antan alors qu’il n’était pas écorné par tous ces abcès purulents. Bonne nouvelle : Le comte de Monte-Cristo pourrait s’en faire héritier, preuve que le cinéma est encore capable de faire naître du beau quand il n’y en a plus.
Un article de Mélanie GAUDRY.
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