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Constellation 

Photo du rédacteurLéa WATERHOUSE

Je pense, donc je RAP

Eté 2006, j'ai 11 ans et je suis à la fête d'anniversaire d'une copine de classe, à qui on a offert une radio et le dernier CD de Diam's.

L'excitation est totale, 10 jeunes filles qui hurlent les paroles de notre rappeuse préférée sous le soleil de juillet. Si j'avais bien saisi à ce moment-là l’énergie et l’esprit de rébellion dans les sons, ce n'est que 20 ans plus tard que je comprends la poésie, le commentaire social, et l’esprit d’activisme de la rappeuse. D’ailleurs, ces dernières années, les rappeurs ont la cote dans les copies du bac de philosophie. C'est une révélation qui n’est pas si surprenante, parce que si le propre de la philosophie est l’art de se poser des questions, c’est une préoccupation qu’elle partage de toute évidence avec le rap. La question est de savoir si les rappeurs peuvent être qualifiés de philosophes puisqu’ils ne développent pas de thèse en soi, mais ils nous poussent à la réflexion et font des commentaires sociaux rigoureux. D’ailleurs, peut-être qu'ils sont plus à même de faire des critiques sociales que la plupart des philosophes, puisqu'ils sont directement concernés par ce social défavorisé. La vraie question est de savoir pourquoi ce que l’on écoute tous les jours nous imprègne d'une certaine manière, nous informe, et nous donne des conduites de vie. C’est bien que le rap élève la personne qui écoute, l’éclaire et la dépouille de sa facilité pour qu’elle acquière une profondeur. Pour déterminer si les rappeurs ont leur place en philosophie, revenons sur l'histoire de ce genre musical et sur les thèmes philosophiques qu'il traite.


1/ Histoire :



Le rap, c'est bien plus qu'une musique : c'est une révolution culturelle, un cri de rue qui résonne depuis les années 1970. Né dans les quartiers du Bronx à New York, il commence avec des MC (Maître de Cérémonies) qui animent le public sur des rythmes de DJ, puis très vite, tout explose. Le rap devient la voix des sans-voix, un espace de revendication, de résistance et de fierté. En France, IAM, NTM et MC Solaar ont apporté cette énergie contestataire et poétique dans l’Hexagone, en mêlant philosophie urbaine et conscience sociale. Ce mouvement s’est articulé autour des 4 grands axes fondateurs : le rap, le breakdance, le DJ et le graffiti.    - Le DJ, a une grande autonomie, il peut balancer ses sons n’importe où, hors des lieux dédiés à la musique, dans une cave, un garage, un hangar, et il mixe des morceaux du passé pour créer quelque chose de neuf. - Le breakdance est une danse dynamique qui donne son mouvement saccadé, explosif au hip-hop.- Le graffiti est une forme d'art sur les murs qui représente le 1er effort du hip-hop pour exister au-delà des quartiers défavorisés. L'idée étant que les murs peuvent être vus par tout.      - Le rap lui, c’est la musique.


2/ Thèmes philo abordés :


Le rap se caractérise par son style vocal particulier, où les paroles sont souvent délivrées de manière rythmée et rapide, en suivant une instrumentalisation. Parmi les éléments clés du rap : on retrouve le flow, la manière dont les paroles sont dites, et les punchlines, des phrases marquantes, percutantes ou des jeux de mots pour faire passer des messages forts et faire valoir l'habileté lyrique. Même si de nos jours, il existe plusieurs types de rap, initialement ce qui importait le plus était les thèmes abordés dans les chansons. Le rap traite souvent de sujets liés à la vie urbaine, comme la pauvreté, la violence, les inégalités sociales, mais aussi des thèmes plus personnels comme la réussite, la lutte ou la fierté identitaire. Parfois certains rappeurs se présentaient eux même comme des philosophes, c’est le cas de Tupac qui s’est directement inspiré des idées du penseur Machiavel pour écrire ses textes de rap, et allant même jusqu’à utiliser le surnom de Makaveli à sa sortie de prison. Depuis, des artistes francophones contemporains comme SCH, Booba ou Damso perpétuent cette tradition, d’une musique qui n’a pas peur de parler vrai, de déranger, mais aussi d’inspirer. Pour Benjamine Weill, « Le rap, et le mouvement hip-hop en général, fait office de mouvement qui dit : ‘_J’existe, je n’ai pas envie de rester à la place que l’on m’a assignée.’ Et de cette manière, les rappeurs revendiquent, sans être forcément engagés au sens politique ». D'ailleurs en décodant les clichés, on arrive à saisir la compréhension du monde de certains artistes, par exemple, la typique chaîne en or dans le cou est un code visuel pour signifier « je me suis sorti de mes conditions matérielles ». Le rap s’inscrit donc dans la tradition artistique puisque c’est à la fois un mode d’expression et de rébellion, mais il s'inscrit aussi dans la discipline philosophique, de part les thèmes qu'il aborde. Sur internet, certains sites proposent de réviser le bac philo en recensant les meilleures citations d’artistes en lien avec les thèmes du programme du bac. En voici 3 :

Sur le thème de la Liberté, je vais citer Médine : « Ils veulent que tu rentres dans le moule, mais t'es plus grand que la boîte. ».  Les rappeurs expriment souvent un refus de se conformer aux attentes et aux carcans sociaux qui brident la liberté personnelle, et revendiquent à l'inverse leur droit à l'authenticité.  Booba ajoute "Ma liberté, c'est mon trésor, je préfère vivre en guerrier que mourir en esclave." Là il insiste sur la liberté de pensée, et dénonce l'esclavage mental, c'est-à-dire l'idée de se laisser manipuler par la société de consommation, les médias ou l'opinion publique. Quelles que soit la forme de liberté, les rappeurs encouragent l’autonomie.


Sur le thème de la justice, le rappeur franco-haïtien Kery James n’a que 18 ans quand il publie un des plus beaux textes écrits sur les cités, Le Ghetto français. Il offre une réflexion profonde sur la réalité des quartiers défavorisés. La description est sombre, il y a une forte dimension politique dans les paroles, mais aussi une invitation à la solidarité et à une meilleure justice sociale.


Enfin, sur le thème de La religion, je vais citer Alpha Wann  : « J’vais à la muscu’ pour le corps, j’vais à la mosquée pour le cœur ". Il présente ici l’idée que la religion sert à entretenir l’esprit. Diam's de son côté nous dit « … comment expliquer la foi à celui qui ne l’a pas ? ».  Et c’est vrai que La foi c'est une notion philosophique intéressante car elle est d’un côté une base fondamentale pour toutes les religions, tout en étant inexplicable. Il est absolument impossible de rationnaliser la foi, alors pour la comprendre la rappeuse propose de la placer d’avantage sous le signe de l’émotion.


Voici quelques exemples, mais en creusant bien, tous les thèmes philosophiques du bac ont déjà été traités par des rappeurs. Il est vrai que de nos jours, dans les propos de certains rappeurs, on peut même observer une certaine droitisation, et à quelques exceptions près, on est dans l’idée que tout se vaut et que du moment qu’on génère de l’argent, on a réussi. Le rappeur n’est plus la figure du jeune intello qui s’en est sorti. On ne pratique plus le rap pour les mêmes raisons. L’émancipation n’est plus pensée en dehors de l’aspect financier, ce qui interroge Benjamine Weill sur le plan intellectuel et philosophique. Benjamine Weille, née en 1979, est une philosophe française spécialiste du rap, qui travaille dans le social. Elle a écrit le livre « A qui profite le sale ? : Sexisme, racisme et capitalisme dans le rap français » paru en 2023 aux éditions Payot. Elle souligne lors d’une émission télé qu’elle s’est vu remettre en cause sa légitimité à écouter du Rap au fil des années, malgré sa connaissance et son amour sans faille pour la culture hiphop. Alors peut-on écouter du rap quand on est une femme blanche ? La philosophe répond à cette question qu’il faut sortir de l’entre soi du RAP game et changer cette imaginaire du RAP très viriliste. On ne compte plus les paroles sexistes, masculinistes, parfois ambiguës sur les violences de genre et les violences sexuelles dans les chansons de Rap contemporaines, et ça c’est problématique. Mais le problème vient-il vraiment du RAP ? Qu’en est-il des chansons « femmes des années 80 » et autres classiques français. Vous voyez, c’est guère mieux. Peut-être qu’on fait porter le chapeau aux rappeurs d’un problème ancré dans l’industrie de la musique et la société tout court.


Aujourd’hui Aya Nakamura, reine du monde, est l’égérie Lancôme, Orelsan est lui l’égérie de Dior, on voit bien qu’il se passe quelque chose de nouveau dans le monde du Rap. Le hiphop questionne le monde, ses injustices, ses contradictions, tout en trouvant la beauté dans le chaos. Quelle que soit sa forme, dans le fond, le rap est avant tout un modèle de culture qui va à l’encontre de l’individualisme, et qui nous offre une forme moderne de philosophie. Dans son essence, le rap, n’est pas la lutte de tous contre tous, il s’agit, au contraire, de monter tous ensemble. Tous ensemble, ça veut dire monter collectivement, que ma réussite est vrai que si les autres réussissent aussi. Ma lutte est la mienne mais aussi celle de mon voisin. Quand je repense à la première fois que j’ai écouté Diams en 2006, il y a un parallèle étrange qui se forme. Aujourd’hui, je travaille dans le socio-médical à Marseille avec des patients à la couverture universelle ou à l'aide médical d'état, parfois sans papiers, et qu’est-ce que je suis fière d’être française et que mon pays offre une nouvelle vie, un nouvel espoir à ces enfants. Est-ce que j’ai choisis de travailler avec eux, parce que justement depuis mes 11 ans Diams m’a dicté la conduite à suivre, mes valeurs de vie, qui résonnent encore dans un petit coin de ma tête. C’est elle qui m’a appris que ma France à moi se mélange, c’est un arc en ciel, et que si elle te dérange, alors ne elle ne te veut pas pour modèle. Le rap c’est une philosophie de vie.


Un article de Léa WATERHOUSE.

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