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Constellation 

Photo du rédacteurChristian WALTER

Le mystère de la sexuation. À propos de Rue Haxo de Cécilia Jauniau

Dernière mise à jour : 30 sept.


Le livre de Cécilia Jauniau, Rue Haxo (Éditions de l’espace d’en bas), a reçu le prix Sade 2023 du livre d’artiste Ce livre est présenté par son éditeur (https://www.lespacedenbas.com/) comme « une proposition de l’artiste Cécilia Jauniau (…), [il est] composé de deux séries. Une première autour de sa pratique du collage et une seconde autour d’une suite photographique. Ce livre nous parle du désir, du corps féminin et de sa représentation. Tout à la fois déclaration et revendication, Rue Haxo raisonne comme un objet politique, artistique et poétique. » Le magazine Livre Hebdo le présente ainsi : « Des collages, des dessins et une série de photographies érotiques évoquant le désir ainsi que le corps féminin et sa représentation. »


La galerie Rachel Hardouin (http://15martel.com/ ) a présenté une exposition autour de Rue Haxo du 28 mars au 27 avril 2024 en l’introduisant avec le texte suivant, repris dans le magazine L’Officiel des spectacles : « Sans maniérisme, Cécilia Jauniau fait monter la tension en maîtresse de son corps. Liant à la fois la rigueur de la composition et des codes du fétichisme, la chair parvient à se libérer. Un exercice de haut vol de l’art de l’autoportrait. Cécilia Jauniau ouvre une parenthèse précieuse, celle de corps réels, sans vulgarité, l’anatomie d’un fantasme. »


La sexuation du corps


La présentation du livre et de l’exposition insiste sur « des collages, des dessins et une série de photographies érotiques évoquant le désir ainsi que le corps féminin et sa représentation ». Ouvrons Rue Haxo. La première impression qui vient est un étonnement. Étonnement devant des images érotiques particulièrement crues mais qui en effet, comme le relèvent les commentaires mentionnés, échappent au statut d’images pornographiques. Pourquoi ? On se dit qu’il y a autre chose, mais quoi ? Nous proposons ici comme piste de réflexion de considérer que la démarche de Cécilia Jauniau nous met face au mystère de la sexuation, une forme d’« origine du monde » (pour citer le titre du tableau de Courbet) renvoyant au traité de la Création dans la Genèse « Dieu créa l’être humain à son image, à l’image de Dieu il le créa, mâle et femelle il le créa » (Genèse 1, 27), une origine du monde présentée comme un univers « coupé en deux », d’où le mot secare, sexuer, la sexuation de l‘univers. Ce récit mythique introduit un regard sexué sur la création. La sexuation de l’être humain survient après que l’univers entier a été sexué par séparation (la mer de la terre, le jour de la nuit, la lumière des ténèbres, les animaux de la mer et ceux de la terre etc.). La polarisation mâle-femelle devient l’acmé du récit biblique de la création (nous n’entrons pas ici dans les débats contemporains sur la mise en jeu de cette polarisation).

Les pages blanches


On peut regarder avec cette lentille sexuée les images crues qui présentent la « coupure » de la fente vaginale sur le corps féminin. Nulle intention d’excitation, ce n’est pas ce qui est recherché. Plutôt une vision clinique de l’effet de la sexuation sur l’anatomie, ici le corps féminin. Tout est montré dans le détail, de façon presque médicale, le mystère de la coupure. Plus on regarde et moins on voit. Les dessins au crayonné noir qui accompagnent, page de droite, les images des pages de gauche poétisent la crudité clinique des vues du sexe en faisant apparaître un mouvement graphique, qui permet de deviner que cet appareil biologique étrange et sexué peut aussi produire des flux intenses de désir et devenir une source de plaisir sensuel et érotique. Ce que montre la seule image du livre qui irait dans ce sens, le majeur de la main gauche de la femme en train de se poser sur les lèvres de son sexe. On n’en saura pas plus. Deux interprétations sont possibles, le début d’une caresse ou simplement la vérification que tout ce qui doit être là est bien là. Ou encore le simple plaisir d’un contact épidermique sans que la recherche d’un plaisir autre s’ensuive. Le sexe s’entrouvre mais il s’agit seulement d’une aperception de l’intérieur, on ne verra rien de plus, et d’ailleurs serait-ce important ?


Le corps est nu, une nudité radicale dans Rue Haxo, comme pour toucher l’essentiel qui, justement, fuit au regard. Comme si le mystère de la sexuation devait échapper aux regards, à la mainmise de l’être humain, et celle de l’homme sur la femme. Ainsi est donc la « femme » telle qu’elle se présente dans la sexuation. Dans ce sens, Rue Haxo a quelque chose d’originel. Avec ces images, Cécilia Jauniau semble vouloir nous emmener au commencement du monde, là où il n’y avait rien. Rien d’autre que le corps nu qui sort de la glaise. Et ce corps féminin, on le voit, sous tous ses angles. Les quelques vêtements ne sont là, semble-t-il, que pour souligner la nudité anatomique du sexe, sa fragilité et son intrinsèque vulnérabilité. Une chaise, les cuisses écartées, le sexe exposé. Est-ce érotique ou originel ? « Voici donc comme je suis », semble dire Cécilia Jauniau, « Femme » (isha).



Les pages noires


Avant les pages blanches sont des pages noires. On comprend qu’une histoire d’amour a eu lieu. Qu’elle a été forte, intense, avec des sensations corporelles qui la marquèrent. La rencontre des sexes comme rencontre des corps, comme rencontre des êtres, de l’homme et la femme. A deux, voilà qu’ils ont rejoué la création. Et on comprend que cette histoire est finie.


Et avant l’histoire ? Un corps seul. Toujours aussi nu mais souffrant. Les pages sont noires. Plus de dessin sur les pages de droite accompagnant les photos sur les pages de gauche. Dans cette première partie, les pages de gauche sont vides, seules les pages de droites sont habitées. Et là, ce qui frappe est l’impression de violence et de souffrance recherchée. L’attente de l’autre, de l’homme ? Un voile recouvre le visage en quête du ciel, une colombe descend sur une solitude. Solitude encore quand le corps est pris dans des machineries de plaisir (le corps est toujours fidèle quand on lui demande de réagir à des stimuli mécaniques). Dans sa présentation de l’exposition (mot justement adapté ici), Rachel Hardouin évoquait « l’anatomie d'un fantasme ». Ici, l’image reconstruite et le visage recouvert d’un tissu confèrent à la pose un tour inquiétant et laisse envisager plusieurs imaginaires. Prélude à quoi ? La femme qui attend dans l’opacité du tissu qui l’empêche de voir est suspendue à un futur inconnu. Peut-être est-ce cela qu’elle souhaite et cette attente fait-elle partie de ce qu’elle recherche. L’image suivante montre une croix. L’on songe à ces mystiques chrétiennes comme Christine de Stommeln, qui s’infligeaient des supplices physiques pour revivre les souffrances du Christ en croix mais qui étaient pour elles des sources de plaisir ambigu. Ici, il n’y a que la solitude des villes (les immeubles des HLM), le corps en attente d’un autre corps. Il cherche à s’ouvrir mais rien ne vient. Une crucifixion. Le poète anglais D.-H. Lawrence avait eu ces mots dans L’amant de Lady Chatterley, « pourquoi sommes-nous crucifiés par le sexe ? ». Le mystère de la sexuation appellerait-il une crucifixion ?


Puis commence l’histoire d’amour avec ces seuls mots « hier soir j’avais envie de t’aimer » (pages du livre non numérotées). On comprend que la crucifixion par la sexuation provient de la radicale altérité qui est l’origine du sexe : nul n’est l’être humain à soi seul. À la solitude d’un sexe privé de l’autre répond la crudité naturelle d’un sexe qui a trouvé l’autre. A la violence contre soi répond la joie de la rencontre avec l’autre, au supplice craint mais espéré répond la douceur du corps de l’autre. La rue Haxo de Cécilia Jauniau ne débouche pas sur un massacre (comme celui de 1871) mais sur une épiphanie, une sorte d’anti-massacre.


Ainsi l’ouvrage Rue Haxo, dont le titre renvoie à un épisode tragique de la commune de Paris, est bien davantage un hymne à la vie, une vie qui n’évacue par les souffrances du corps et du sexe, mais qui les traverse dans une assomption à l’issue de laquelle on reconnaît la puissance de la sexuation. Comme si la coupure ne saignait plus. Le massacre de la rue Haxo n’a pas eu lieu.


Un article de Christian WALTER.

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