Suite au triomphe des saisons précédentes, Mon Premier Lac des Cygnes est de retour au Théâtre Mogador pour le plus grand plaisir des moins de dix ans. L’adaptation du chef-d’œuvre de Tchaïkovski par Fabrice Bourgeois, à destination du jeune public ne cesse de faire des émules d’où son retour sur scène à partir du 19 octobre prochain. Et pour cause, le ballet, écourté en deux sessions de quarante minutes entrecoupées d’un entracte de vingt minutes, conquiert l’attention et le cœur des petits novices.
Chef-d’œuvre incontournable du répertoire classique, Le lac des Cygnes créé par Piotr Ilitch Tchaïkovski en 1877 s’inscrit comme un ballet majeur de la culture artistique internationale. Depuis lors, on ne compte plus les adaptations scéniques mais également télévisuelles, notamment le dessin-animé Le Cygne et la princesse de Richard Rich sorti en 1994 qui, pour la première fois, place le ballet à la hauteur des enfants. Si ce dernier offrait au jeune public de l’époque une version proche des contes Disney de par son esthétisme et sa trame narrative, le manque de référence aux éléments majeurs de l’histoire originelle, la musique notamment, avait fait échoué cet audacieux remake. Soixante ans après La belle au bois dormant, la volonté néanmoins de démocratiser Le Lac des Cygnes, longtemps considéré comme élitiste est néanmoins amorcée. Il nous faudra cependant attendre de nombreuses années pour que prenne la sauce auprès des plus jeunes. Et pour cause, si le ballet transporte tout un chacun quel que soit son âge, la pédagogie doit tenir un rôle central pour le rendre accessible aux plus jeunes. L’équipe artistique, sous la direction de Karl Praquette, danseur étoile de l’Opéra national de Paris l’a bien compris.
Émerveillement en deux actes.
Emmener des bambins à la première de l’adaptation du Lac des Cygnes par Rudolf Noorev à l’Opéra Bastille revient à les emporter à la Tour d’Argent faute de nounous. Si l’idée est théoriquement envisageable, ce n’est pas la meilleure option. Surtout si on désire passer un bon moment. Mon Premier Lac des Cygnes apparaît donc comme un parfait compromis puisque le ballet ne comporte que deux actes, racontant en une heure au lieu de trois l’histoire d’amour de Siegfred et d’Odette. Aucun risque de perdre l’attention de nos têtes blondes mais qu’en est-il du spectacle ? Ainsi abrégé, le ballet ne risque t-il pas de décevoir les puristes et autres amoureux du chef-d’œuvre de Tchaïkovski ?
Deux actes de quarante minutes coupé par un entracte de vingt minutes pourrait apparaître comme une version low-cost du ballet. Or, la mise en scène, tournée vers la pédagogie, fait oublier les scènes manquantes. Les éléments essentiels sont dépeints. Contrairement à ce qu’on pourrait penser de prime abord, le spectacle n’en souffre pas. Au contraire, même pour un public adulte, la magie opère. Il faut dire que nous retrouvons les morceaux les plus connus notamment l’ouverture et le chant du cygne durant lesquels nos cœurs se serrent et nos gorges se nouent. À la différence que si une certaine noirceur émane de l’œuvre d’origine, l’atmosphère est largement plus légère ici - la fin est édulcorée - afin de garantir aux enfants un bon moment sans pour autant finir chez le pedo-psy.
Pour faciliter la compréhension, le spectacle se ponctue de commentaires brefs mais nécessaires, comblant parfois le vide laissé par les actes manquants. À la symbolique succède l’explication de texte. L’idée est louable si on excepte un détail : le public est sensé être âgé de cinq ans au minimum. Il va donc sans dire que ce pan là ne s’adresse qu’à leurs aînés puisqu’un certain éveil est essentiel pour comprendre ce qui est énoncé notamment la biographie de Tchaïkovski. Mon Premier Lac des Cygnes s’adresse donc à des enfants entre sept et douze ans, réceptifs aux apartés. Plus jeunes, ils ne sauraient comprendre ce qui se joue et se contenterait d’écouter d’une oreille la musique. Plus âgés, l’accès au Lac des Cygnes de Noureev s’envisage puisqu’ils sont suffisamment mâtures pour en saisir la pleine essence. En cela, nous pouvons constater une faiblesse majeure. Le public cible n’étant pas clairement défini, la présence de petits enfants de trois ans ou moins laisse pantois tout comme celle de trentenaires convaincus de s’ennuyer devant la version classique. Quoiqu’on en dise, Mon Premier Lac des Cygnes demeure un préambule en attendant de pouvoir assister à la représentation complète.
Un pitch revisité
L’histoire initiale, inspirée d’un conte allemand, se révèle plus que tragique. De par son issue funeste d’abord mais aussi de par les péripéties malheureuses qui frappent les personnages. Le prince Siegfred, lors d’une partie de chasse, découvre un cygne un peu particulier puisqu’il se transforme aussitôt en Odette, une magnifique jeune femme. Celle-ci est prisonnière d’un sorcier cruel qui lui a jeté un sort : devenir un cygne la durée du jour. Le prince, subjugué, décidera néanmoins de l’épouser au péril du danger que représente le bourreau d’Odette. Nous connaissons la fin de l’histoire : le couple ne vivra pas heureux jusqu’à la fin des temps mais finira comme Roméo et Juliette.
Mon Premier Lac des Cygnes, comme Le Cygne et la princesse avant lui, transforme une tragédie en conte de fées afin de vendre du rêve aux enfants. Comme pour le Père Noël, ils auront le temps de découvrir la supercherie. Néanmoins, nous pouvons nous demander si, avec de tels écarts avec l’œuvre originale, le terme d’adaptation convient le mieux, aussi libre soit-elle. Ne s’agit-il pas d’une réécriture déguisée ?
Qu’importe, nous passons tout de même un bon moment. Des pointes aux costumes féeriques, le temps s’arrête pendant une heure vingt et ce, quel que soit notre âge.
Un article de Mélanie GAUDRY.
Comments