Whatever happens happens, ou le mythe des Kevin
Il existe dans le monde musical deux types d’êtres humains : ceux qui ont pour prénom Kevin, et les autres. On peut citer Kevin Shields de My Bloody Valentine en exergue. Mais le Kevin du jour est Kevin Parker, aka Tame Impala. Musicalement impeccable, il enregistre quasi-tous les instruments et voix de son projet qui, disons-le d’emblée, n’est un groupe en tournée seulement. Le Kevin du jour est également extrêmement bon en com’, ayant documenté la création de son premier album, fricoté avec les bonnes personnes, et séduit les journalistes adéquats. En deux mots : il gère.
Alors quand en 2015 le bougre sort un troisième album, après deux énormes succès dans le monde anglo-saxon, il est attendu au tournant : après trois ans de LSD, de Molly et de parties, Kevin est-il toujours au niveau ?
Les Courants
Réponse avec le premier single du disque, le longuissime Let it Happen. Oui Kev, gère toujours. Currents est un disque majestueux, de la trempe de ceux qu’on n’oublie pas trop, mais auxquels on ne pense pas toujours. C’est un bloc, le son y est unifié. Même la pochette reflète parfaitement son contenu, chose pas si commune quand on y pense – que personne ne dise que Nevermind sonne comme un nourrisson.
C’est pourtant le quatrième et dernier single de l’album, plus gros hit de la machine Tame Impala, qui va nous intéresser aujourd’hui, porté par un clip déjanté à base de gorille, de basket-ball et d’une top model espagnole : The Less I know the Better. Ou en Molière “moins j’en sais mieux, je me porte”. Variante plus fidèle : “moins j’en sais, mieux c’est”.
4 quarts et basse lubrique
Tout part du son primaire de Tame Impala : le groove. Un lick — motif musical — de guitare qui crache des relents de Tony dans La Fièvre du Samedi Soir. Vient une batterie 4/4 basée sur les battements d’un cœur amoureux à laquelle tout le monde peut s’identifier. Puis – « enfin » devrait-on dire – une basse dont le potentiel érotique n’est égalé musicalement que par la voix de Barry White après une offrande de Viagra. Le décor est planté.
Techniquement, c’est efficace. La voix est jeune, forte, vivante, elle semble à la fois plaintive et pleine d’espoir. Des nappes de synthés viennent se poser pour nous refroidir un peu. Les instruments sont au complet. Le morceau semble parfait. Tout le monde veut danser, on se déhanche en l’écoutant, je me déhanche en écrivant. Bingo.
Mais est-ce que raconter n’importe quoi là- dessus aurait fait de ce morceau le hit mondial qu’il est devenu ? Bien sûr que non – Pardon Amélie Neten.
C’est là que se trouve l’une des forces de notre Kevin du jour : accorder le texte à la musique.
De l’ignorance comme vertu
On l’a dit : dans ce morceau, la basse et la guitare puent le cul. Avec ses paroles, Kev vient soutenir cette thèse. Car il chante ce qu’on entend : une envie frustrée.
L’histoire de toute la track c’est celle d’une personne in love d’une fille, sauf qu’elle tient la main de Trevor – pas meilleur feeling ever apparemment – alors que ses potes lui disent d’aller checker une autre gadji nommée Heather, parce que Trevor et sa première target auraient couché ensemble. Drama. Notre protagoniste ne veut pas savoir, la curiosité est un vilain défaut. Alors il abandonne la partie, on ne peut forcer personne à nous aimer. Mais non, je vais attendre pour toi, mieux vaut tard que jamais, juste ne me fais pas attendre pour toujours, mon amour ne t’imagines-tu pas contre moi, ne peux-tu pas dire à ton amant que c’est moi ton amour véritable, je vivais bien sans te connaître, puis j’ai vu ton visage si loin du mien, je vivais bien avant, est-ce ce que tu veux de moi ? Est-ce que tu es celle que je crois ? Faîtes pas genre que vous n’avez jamais connu ce moment. Et oui je copie-colle. Parce que les paroles de Kevin sont plus efficaces que mes mots.
Alors, tout colle. Parce que le monde entier a un jour eu son grand amour, son Trevor, son Heather-amour-de-substitution avec qui ça ne marche pas parce que, ben, ça ne marche pas comme ça, ainsi que la jalousie qui va avec ce cycle de désamour et de perte de soi. Mais on s’en fout, la musique reste joyeuse parce que bordel, on a à peine 20 ans et c’est pas grave, la vie ne va pas s’arrêter pour autant. On ne meurt pas d’un cœur brisé, si ?
La brusque fin du morceau par un coup de grosse caisse au top niveau laisse cette question en suspens. Moins j’en sais, mieux je vais. C’est tout ce qu’il faut retenir.
Un article de Rafaël DEVILLE.
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