Sous l’église de la Madeleine, lieu prestigieux par excellence se tenait du 13 au 22 septembre une exposition d’art. Plus précisément, une exposition avec pour but la mise à l’honneur du street art.
Lorsque nous nous y sommes rendus, une file de plus d’une centaine de mètres s’étendait dans la rue, preuve de l’engouement provoqué tant par le sujet que par le lieu insolite.
C’est autour de ce paradoxe, qui intrigue probablement tous les visiteurs de cette exposition, que l’on peut s’interroger ainsi : le street art peut-il trouver sa place dans un lieu de présentation classique telle que l’église de la Madeleine ?
Dès l’entrée, en effet, la question se posait. Curieux, nous avons parcouru les premières œuvres, quelque peu étonnés. L’exposition ressemblait davantage à une galerie dans laquelle aucun contexte n’était donné. Qui étaient les artistes, quels étaient leur parcours ? À première vue et sans explication, on aurait pu croire à une exposition d’artistes amateurs (ce qui n’était pas le cas).
Nous sommes sortis mal à l’aise mais quelque peu rassérénés par la gratuité de la présentation.
Par acquis de conscience, nous avons feuilleté le livre rétrospectif. C’est à ce moment-là que l’exposition, ce qu’elle avait à nous apporter, prit toute son ampleur.
Dans le livre étaient imprimées des photographies des œuvres des artistes in situ. Alors que les œuvres présentées à l’intérieur semblaient à peine pouvoir être accrochées dans un salon, les œuvres réalisées dans la rue prenaient un sens et une justesse dignes d’être qualifiés d’artistique.
Cet exemple illustre l’importance du contexte dans la vision que l’on aura d’une création artistique.
Cette importance avait déjà été démontrée par le Washington Post en 2007. Alors, Joshua Bell, un violoniste de premier ordre s’était, pour l’expérience, installé dans une bouche de métro, habillé de vêtements simples et avait joué de son instrument (un stradivarius). Le niveau de ce musicien qui avait pour habitude de se produire dans les plus grands lieux n’avait certes pas diminué. Cependant, la vision que les passants avaient de lui et de sa musique était bien différente. Ces derniers ne s’arrêtaient pas et une majorité d’entre eux semblait même ne pas remarquer la présence du musicien.
La question posée par l’article était la suivante : « Si un grand musicien joue de la grande musique, mais que personne ne l’entend... Était-il seulement bon ? »
À la suite de l’article, l’expérience a soulevé un autre sujet : l’appréciation de l’art selon le contexte dans lequel il est présenté.
Là où la première question traite de la valeur de l’œuvre en soi en fonction de son exposition, la seconde prend le problème dans l’autre sens et interroge la qualité de la perception humaine de l’art.
Revenons à l’exposition de la Madeleine. Si l’on reprenait les conclusions du Washington Post, on pourrait présupposer que la majesté du lieu qu’est l’église de la Madeleine viendrait donner un supplément de superbe aux œuvres présentées. Seulement, il n’en était rien. Comme nous l’avons vu, le lieu avait au contraire vidé les pièces de leur sens. Cela signifie-t-il qu’il existe des œuvres de musée et des œuvres n’ayant pas la même prestance ? Si même un grand lieu ne peut rendre justice à une création, peut-être est-il temps de questionner sa valeur réelle.
Cette vision des choses serait pratique si l’on souhaitait défendre l’existence d’un art légitime et supérieur et donc de son pendant : un art rendu caduc par l’incapacité à être transposé dans un musée. Néanmoins, creusons l’idée pour dépasser le stade du préjugé et de l’opinion conservatrice.
Tout d’abord, ce qu’ont révélé les œuvres de street art photographiées in situ, c’est que, plus que le contexte, le support et l’ampleur comptent.
Si les artistes avaient joué avec les volumes et les rugosités de l’église comme ils le font dans les rues et paysages urbains au lieu de reproduire un ersatz de leur travail habituel sur des panneaux au « format musée », l’exposition aurait eu plus d’impact. En revanche, le lieu aurait été marqué de manière durable.
Justement, on touche là au cœur de ce qui faisait de cette exposition un non-sens : le but du street art, souvent, est de choquer l’œil ou l’esprit, de jouer avec l’urbain, d’insérer l’art de manière novatrice dans le quotidien avec pour objectif d’interpeler et de faire passer un message (politique ou artistique).
La peinture, le tag à même les murs de l’église de la Madeleine aurait à coup sûr fait réagir, aurait interpelé, sans doute dérangé un certain nombre de visiteurs ou acteurs de la culture. Au lieu de cela, on a décidé d’encager l’expression, d’enfermer un art libre dans un format classique pour le rendre accessible, acceptable. De fait, on a escamoté l’âme et la vision artistique.
La question à se poser n’est donc ni celle du « bon » contexte ni celle de la valeur réelle des œuvres, mais : Les œuvres sont-elles présentées dans un contexte qui leur permet la pleine expression d’elles-mêmes ?
Un article de Jade BANGOURA.
Comentarios