Une pluie battante frappe le pavé de la ville de Gotham City. On se presse dans les rues pour finaliser les derniers achats car derrière cet assaut naturel se meut l’indomptable nuit. Celle qui fait se révéler à la ville sa sanguinolente facette. Lorsque les criminels abondent dans les rues, que les vols, pillages et autres viols sont légion, et que la corruption fragilise tout un système en place, une seule entité est capable de venir à bout de cet enfer : Batman.
Créé par le dessinateur Bob Kane et le scénariste Bill Finger en 1939 pour le vingt-septième comic-book Detective Comics, Batman n’a cessé d’être exploité et adulé depuis des dizaines et des dizaines d’années... Tantôt le vengeur à la cape et tantôt le détective implacable et malin, d’excellentes plumes sont passées jeter leurs plus belles encres sur la cape noire du justicier masqué. Tim Burton, en particulier, qui, dans ses deux films Batman (1989) et Batman Returns aura saisi toute l’atmosphère sombre, gothique et sale de cette ville accablée par la corruption et le meurtre. Plus récemment, Christopher Nolan aura rendu une interprétation moderne en triptyque sur le chevalier noir, d’où a été retenue la performance d’Heath Ledger dans la peau d’un des antagonistes les plus représentatifs et cinglés du justicier. Les Wayne sont l’une des familles les plus riches et influentes de Gotham. Un soir, alors qu’ils quittent l’opéra, une ruelle sombre leur réserve un destin tragique. Un homme cagoulé se presse devant Thomas Wayne, le père, philanthrope émérite voué à assainir la ville de son cœur. Une balle est tirée. Puis une deuxième qui voit Martha, la mère du petit Bruce, s’effondrer sur le sol, laissant l’occasion à son fils d’entendre, encore bien des années après, le bruit du collier de perles se briser et heurter le trottoir mécaniquement. « C’est comme cela que c’est arrivé. » C’est comme cela que Batman est né.
2009. Les studios britanniques de jeux-vidéos Rocksteady et Eidos Interactive sortent la première perle du collier retrouvé de Martha Wayne : Batman Arkham Asylum. Fracassant le ciel tel l’OVNI qu’il est, on est loin de voir arriver ce qui sera l’une des plus belles adaptations jeu-vidéo ludique de ce siècle. Batman vient d’appréhender son éternel ennemi, le Joker. Sa fameuse Batmobile fend la brume épaisse qui est le décor le plus connu de cette ville aux ambiances gothiques que le péché a souillée depuis si longtemps. L’Asile d’Arkham attend ce fou furieux. Comme un décor sordide, une île séparée de la civilisation, un Aschecliffe revisité.
« La folie, tu ne l’ignores pas, disait Ledger dans son rôle, suit les lois de la gravité, il n’y a qu’à donner une légère pichenette ».
Eh bien que peut bien séparer la ville de Gotham de la folie ? Un seul pont, maintes fois franchi par des criminels s’échappant de l’asile maintes et maintes fois. Soudain, une porte blindée, plutôt moderne, laisse échapper depuis les phares aveuglants de la Batmobile la silhouette imposante de Batman avec, à ses côtés, un Joker à genou, prêt à être livré. Le justicier à la cape ne le sait pas encore, mais la nuit sera plus longue que ce qu’il pensait. Le Joker aura tissé sa toile, dans le plus grand secret, pour abattre le château de cartes vacillant de l’administration d’Arkham et prendre le contrôle de cette île d’Arkham gigantesque où le décor et son histoire vivent parfois bien davantage que le récit monumental du héros qui est en train d’être joué. Rocksteady a misé sur l’immersion du joueur. Toute la nuit, nous allons incarner un Batman fort de son costume, son intelligence, et sa panoplie de divers gadgets. L’introduction du jeu a emmené Batman et son ennemi dans les couloirs modernes du bâtiment des Soins Intensifs. La technologie y règne plutôt. Mais ce n’est pas, vous vous en doutez, un lieu où s’épanouit la paix et le calme. Non… des vies se sont enchaînées à la folie derrière le poids des barreaux rustres et perfides de l’enfermement. Le cadre est sale, presque autant que les rues immondes de la ville qui a vu grandir l’homme chauve-souris. Sans un bruit, on pourrait presque entendre hurler les fous à lier. C’est un bâtiment de soins extrêmes où, dorénavant, le Joker, accompagné de quelques autres vilains iconiques de l’univers de Batman, fait sa loi. Ne vous leurrez pas, il l’étendra évidemment à l’île entière.
Le succès de Batman Arkham Asylum tient essentiellement en le fait qu’il est scénarisé par Paul Dini. Paul Dini fut le scénariste de la série animée Batman : The Adventures Series, plus souvent connue par son abréviation Batman TAS. Elle fut, au début des années 90, un véritable succès. Avoir pris Paul Dini assure, dans le traitement de l’adaptation, l’immense respect du matériau originel, qui, à titre personnel, manque parfois à certaines adaptations de franchises qui ont marqué le public depuis les années 70/80. L’ambiance de l’île d’Arkham, nous l’avons dit, est sombre, presque vivante. Chaque bâtiment que va explorer la chauve-souris possède sa propre identité. Si les Soins Intensifs brillent par la folle et obscure ambiance technologique, le Manoir administratif où se situent notamment les bureaux du directeur et la bibliothèque de l’île est davantage resté dans l’ambiance immensément gothique de l’époque de son créateur, Amadeus Arkham. Il se peut même qu’Amadeus lui-même soit resté dans ses murs… Le pénitencier, quant à lui, reprend l’ambiance technologique des Soins Intensifs, mais pour mieux l’appliquer à un cadre carcéral extrêmement dur et violent où le traitement des malades se fait par l’installation de systèmes de pacification par l’électricité. Car, il faudra bien l’avouer, et Amadeus lui-même l’aura compris… Toute folie ne peut pas être soignée. En bref, l’ambiance de cette île mystérieuse reprend celle tant chérie par les aficionados de la première heure de l’épopée sombre du chevalier noir. Et cela aussi, il vous faudra bien l’avouer : c’est un succès.
L’immersion, le point clé...
C’est dans un jeu à couloirs que l’on voit progresser Batman en quête de son ennemi juré. Il rencontre bien des difficultés et des embûches mais tout est laissé sous l’atmosphère de l’enquête et du combat contre le crime. Le gameplay est innovant, et les concepteurs ont parfois passé des années entières à la seule réalisation de cette cape dont le vent vient crever l’immobilité. Le système de combat, grande originalité du jeu, qui offre au joueur la possibilité de prendre conscience de la dureté des coups de Batman, est fluide, voire même dansant. Le système de combo garantit au joueur d’acquérir de plus en plus d’expérience, une « XP » qui lui permettra, au fur et à mesure de la nuit, d’améliorer la panoplie du chevalier noir. Arkham Asylum se joue comme un action-aventure à la troisième personne où l’exploration est de mise. Les gargouilles surplombent aussi bien le décor décadent et floral de la serre Elisabeth Arkham, dans les jardins botaniques, que l’ambiance folle des Soins Intensifs. L’immersion est totale. On ne fait plus seulement que contrôler l’homme chauve-souris… On est Batman. Les ennemis, qui ont quitté l’enfer de la prison de Blackgate pour la réjouissante folie de l’asile sont commandés par le Joker, et aucun d’entre eux ne sort indemne du défilement puissant des coups du justicier. Qu’il s’agisse d’affrontement direct ou bien de guérilla silencieuse où le prédateur rôde pour mettre hors d’état de nuire les malfrats, entre les conduits du système de ventilation et les gargouilles qui rient au nez de la sérénité. Les bandits laissent libre cours à leur crainte dans l’étrange obscurité des couloirs où les attend la silhouette du héros. Certains paniquent, et lorsqu’ils voient leurs compagnons à terre, les yeux fermés, ils vous provoquent, se rient ouvertement de vous, mais ne se vantent guère de la petite sueur qui perle sur leur front. Le grappin, meilleur ami technique du justicier lors de cet assaut de la folie contre celle qui a voulu la soigner, aide le Batman à se faufiler et à tirer le meilleur avantage possible de son terrain.
La réussite de ce jeu tient aussi dans sa particulière façon de rendre intemporelle son atmosphère. Si les gargouilles et autres manoirs aux longs couloirs pourraient nous plonger dans une ambiance gothique, quasi à la Burton, la pacification des patients et les cellules optimisées nous rapprochent d’une époque plus moderne. Le centre médical rappelle d’extérieur, lui, l’architecture victorienne. Et finalement, c’est cela le défi Batmanesque. Plonger, lui et sa mythologie, dans l’intemporalité la plus assumée, où s’affronte les forces en présence : Batman et surtout, ses ennemis.
Oh, les affreux vilains rentrés dans la légende du justicier. Parmi eux, Le Pingouin, L’Épouvantail, Zsasz… Tant de noms qui paraissent insignifiants et qui prennent, dans la vision du monde des aficionados de Batman, un terrible revers. Les jeux de contraste et les couleurs sont importants. Les cellules sont vides mais témoins indubitables de l’existence de ceux qui les peuplaient. Ainsi, celle de l’ex-procureur Harvey Dent, connu sous le nom de Double-Face, au visage vitriolé d’acide par un représentant de la pègre gothamite, est polarisée en deux, métaphore puissante et jusqu’auboutiste de la représentation silencieuse de l’univers de ce personnage que la raison aura laissé à la schizophrénie paranoïaque. Celle de l’Homme-Mystère, le roi des énigmes, est recouverte de ces points d’interrogation verts qui affirment l’ambiance d’horreur qui se liait à son enfermement. Cà-et-là, des cassettes d’entretien des patients traînent et nous révèlent, autrement que par les décors, le passé des personnages que certains joueurs néophytes ne connaissent pas. Un système de biographies des personnages, dessinés et imprégnés dans une forte ambiance de comics est mis en place. De l’analyse de scènes de crime à la découverte d’une Batcave construite sous les fondations de l’île, tout nous rappelle l’univers de la chauve-souris, et nous, nous sommes séduits. Arkham est loin d’avoir livré tous ses secrets…
Quelques petits points noirs...
Alors bien-sûr, et Harvey Dent nous l’aurait dit : à toute pièce son revers. Et la fragilité du jeu -- pour ce qu’il a de fragile – réside essentiellement en la pauvreté de son traitement des boss. Ils sont au nombre de trois, si l’on exclut les sbires du Joker qui auront subi une petite amélioration, à savoir Bane, le mercenaire amélioré au Venin, l’engagée et plantureuse Poison Ivy, et le clown, prince du crime : le Joker. On le sait, le système de boss dans les jeux-vidéos résident dans cette appréhension d’un système où le joueur doit savoir frapper au bon moment pour le paralyser. Mais ici, les parades sont d’une répétition qui finit par lasser le joueur. L’arc lié à Poison Ivy a été jugé, par certaines critiques, et d’autres Youtubeurs, comme du remplissage, laissant le temps au Joker de peaufiner ses plans pour Batman. Bane est finalement un boss commun comme on a déjà pu en affronter sous la personne des sbires transformés. De plus, la représentation du système d’expérience lié aux améliorations du costume de Batman reste assez banale. Mais ce sont là de piètres critiques qui n’arrivent, en réalité, pas à la cheville du chevalier noir, une nouvelle fois iconisé.
Batman et sa mythologie
Les références au comics ne manquent pas. On l’a dit, l’action de Batman Arkham Asylum est intemporelle. Pourtant, on sait, à quelques indices diégétiques, que certains évènements de la mythologie Batman ont eu lieu. Barbara Gordon, fille du commissaire éponyme et ancienne Batgirl, est devenue Oracle. C’est elle qui nous aide, depuis l’oreillette seulement, à appréhender les couloirs sans fins et les recoins obscurs de cet asile d’aliénés. Le Joker a déjà frappé. En termes de références aux comics, là aussi on est servi. On a beaucoup parlé du costume de Batman, mais les muscles saillants du justicier sont recouverts d’un gris d’où point le symbole de la chauve-souris, en plein sur le torse. La cape, le masque et les gants sont d’un noir pesant qui assombrissent autant qu’ils iconisent cette nouvelle représentation du Batman. Cette adaptation n’est pas sans nous rappeler celle du Batman : Silence de Jeph Loeb et Jim Lee. Dans le même ordre d’idée, le costume et l’inspiration du Joker nous font penser à ceux de The Killing Joke conçu de main de maître par Alan Moore. Le jeu entier respecte l’odyssée de Bruce Wayne sous sa cape. De plus, le système de combat mis au point par Rocksteady inspirera bien d’autres franchises par la suite. Le jeu remporte un nombre incalculable de prix : il est nommé dans les catégories jeu de l'année, jeu d'aventure de l'année, meilleure animation, meilleure bande originale et meilleure direction du jeu. Lors de la 6e édition des British Academy Video Games Awards, il remporte les prix du meilleur jeu et du meilleur système de jeu, et reçoit des nominations pour l'action, la bande originale, l'histoire, le design sonore, la réalisation artistique, ainsi que le choix du public. Il remporte le prix de la meilleure conception de jeu lors de la 10e édition des Game Developers Choice Awards, et est nommé pour le jeu de l'année et le meilleur scénario. Il est également nommé pour le meilleur montage sonore aux Golden Reel Awards 2010. La National Academy of Video Game Trade Reviewers récompense le jeu dans les catégories jeu de l'année, conception des personnages, conception des contrôles 3D, conception des costumes, conception du jeu, montage sonore dans un jeu vidéo, performance dans un drame (Mark Hamill), utilisation du son et suite d'un jeu d'action. » (source : Wikipédia).
Puisqu’il s’agit d’évoquer l’immersion dans la mythologie Batman, comment croire indéfiniment au Joker ou en Batman sans l’incarnation de ses puissantes voix. Derrière la tessiture sobre de Batman se cache le grand et regretté Kevin Conroy qui avait déjà pris la voix de Bruce Wayne pour Batman TAS. Il en va de même pour Le Joker qui s’offre le jeu spectaculaire de la voix de Mark Hamill. La VO est extraordinaire, mais la VF aussi. Adrien Antoine jouera le Batman. Et c’est nul autre que Pierre Hatet qui rira pour le Joker.
Alors, chers lecteurs, si vous êtes comme beaucoup encore des néophytes de l’univers Batman, plongez-vous dans ce qui s’avère être le premier opus de ce qui s’appellera par la suite : La saga Batman Arkham. En effet, elle s’offrira deux suites plus spectaculaires l’une que l’autre : Batman Arkham City, projetant Batman dans la ville prison d’Arkham City, gérée d’une main de fer par un psychiatre du nom d’Hugo Strange (qui ne sera pas étranger aux fans…) et Batman : Arkham Knight, en 2015, qui viendra mettre une coda spectaculaire, un point final, un chant du cygne, à l’épopée du justicier masqué. Le jeu de couloirs laisse la place aux open-worlds, City et Knight offrant respectivement deux leçons à l’industrie entière du jeu-vidéo, réparant les petites erreurs de leur prédécesseur, et magnifiant ce que le premier n’avait pas réussi à magnifier : amélioration jusqu’auboutiste du système de combat, plongée à couper le souffle dans la Batmania et l’histoire du héros. Nous y reviendrons en temps voulus. Toujours est-il que depuis sa gargouille, scrutant les pièces de sa vision de détective, Batman viendra à bout de ses ennemis, comme toujours, et c’est lui qui parviendra à nous sauver de la folie ambiante qui s’était emparée de l’asile. Sorti à l’époque sur Ps3 et X-box, les ventes montent en flèche, très rapidement. On compte deux millions de vente dès la troisième semaine de sortie, et au total 4,3 millions de vente. C’est un succès à l’échelle mondiale qui a laissé sa trace, et auquel les deux derniers opus rendront encore plus hommage… « C’est comme cela que c’est arrivé. » C’est comme cela que Batman nous a épaté. Un article de Lucas DA COSTA.
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