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Constellation 

Photo du rédacteurManon LOPEZ

Podcast : "Arcane et la vision de la folie"

Dernière mise à jour : 29 déc. 2024


Bienvenue dans ce nouvel épisode de notre podcast sur ConstellationMag où nous allons évoquer une série, qui en ce moment, a un franc succès avec sa deuxième saison, il s’agit d’Arcane, disponible sur Netflix. Petit disclaimer : je vais révéler certaines parties d’Arcane, donc si vous n’avez pas encore visionné la série, merci de ne pas écouter ce podcast. Autre chose, notre analyse ne concerne pas le jeu vidéo League of Legends, mais bien Arcane, la série en elle-même, il n’y aura donc pas d’analyse comparative des deux, tout simplement parce que l’hôte que je suis n’a tout simplement jamais joué à LoL.



Cette série animée, et d’une excellente qualité d’animation, d’ailleurs réalisée dans nos studios français je précise, Fortiche Production, ce qui est une certaine fierté, est produite par Riot Games, l’équipe derrière le jeu vidéo League of Legends. Arcane est bien plus qu’un simple spin-off d’un jeu vidéo, puisque nous sommes littéralement transportés dans deux cités aux destins opposés, Piltover et Zaun, où la science, le pouvoir et la violence se mélangent et créent des drames humains. , Arcane est certes une histoire qui nous parle de rébellion, de lutte des classes, de pouvoir, mais elle nous plonge dans une exploration poignante des limites de la raison, du contrôle mental et de la folie

Mais au-delà de ses visuels absolument majestueux, qui mêlent animation traditionnelle et par ordinateur, et de son intrigue extrêmement bien ficelée, Arcane offre une réflexion profonde sur le thème de la folie qui traverse le destin de plusieurs personnages. Dans cet épisode, nous allons nous concentrer sur Jinx, Vi et Silco, et notamment sur comment les traumatismes représentent la source de leur folie, et donc in extenso, la construction de leurs identités respectives.  

 

Dans Arcane, deux cités complètement différentes s’affrontent : Piltover, représente une cité de progrès et d'innovation, et Zaun est une cité où règnent la pauvreté et le désespoir, souvent appelé les bas-fonds. Les personnages principaux, en particulier Jinx et Vi, sont des archétypes fascinants du combat entre le bien et le mal, mais loin de là d’y voir une perspective totalement manichéenne, bien au contraire, ces deux jeunes sœurs sont aussi des victimes des traumatismes, des deuils et des déchirements internes qui viennent toucher la corde sensible de leur santé mentale.

On va d’abord se concentrer sur Jinx qui est devenue le personnage le plus emblématique de la série, elle n’est pas sans rappeler certains antagonistes de la culture pop telle que le Joker, voire Harley Quinn qui joue de leur folie pour bâtir leur identité.


Jinx : La folie comme héritage du traumatisme


Mais Jinx incarne, pourtant, la folie d’une façon encore plus complexe. Ce qui est frappant chez elle, c’est que sa descente dans la folie résulte de traumatismes et de deuils accumulés, d’une sensation profonde d’abandon qui commence par la mort de ses parents, puis la « perte », entre guillemets, de Vi, puis son isolement progressif qui coupe tous les liens autour d’elle. Est-ce qu’on naît folle ou on le devient ? Chez Jinx, il y a cette idée du devenir, de l’implantation d’une folie qui germe suite aux déchirements intérieurs. Quand Ekko, dans la saison 2, la retrouve dans un monde alternatif, Jinx n’est pas « folle ». Elle est restée « Powder », son véritable nom, une jeune femme qui paraît bien plus équilibrée et avec qui il peut vivre une histoire d’amour, ce qui prouve qu’une trajectoire plus positive et solaire aurait pu s’ouvrir pour Jinx si le traumatisme ne s’était pas infusée en elle.

En analysant la folie de Jinx à travers une perspective psychanalytique, on pourrait s'inspirer de deux théories d’Alice Miller, qui fut une psychanalyste qui a exploré les effets des traumatismes infantiles sur la psyché adulte, critiquant la psychanalyse classique et soulignant l'importance de reconnaitre et exprimer les souffrances passées pour les guérir. La première théorie est le concept de l'Adulte-Enfant : selon Miller, de nombreux adultes continuent à souffrir des séquelles traumatiques infantiles non résolues. Ces adultes portent en eux l'enfant blessé qu'ils étaient, et cette partie de leur personnalité influence leurs comportements, leurs émotions et leurs relations. C’est ce qui explique, d’une certaine manière, la dissociation Powder et Jinx, Powder est l’enfant blessée, et Jinx est la conséquence du traumatisme ancré, qu’on peut traduire par une seconde théorie de Miller : la mémoire émotionnelle et le savoir refoulé. Miller croyait que la reconnaissance et l'expression de ces souvenirs et émotions étaient cruciales pour la guérison psychologique. Les traumatismes non résolus, selon elle, continuent d’influencer inconsciemment les comportements et les sentiments de l'individu, et c’est principalement ce qui arrive à Powder qui se transforme en Jinx, devenue ainsi folle et violente par toute cette violence interne accumulée.


D’un autre côté, avec Lacan, on peut étendre ce portrait de Jinx à un être confronté à l’autre et au manque. Pour Lacan, le manque fondamental d’un individu fait qu’il cherche à le combler par la quête de l’Autre, d’où le lien que Jinx a avec sa sœur Vi, ou qu’elle développe dans la saison 2 avec Isha, une petite fille qui se prend d’affection pour elle et la perçoit comme une sorte de modèle de grande sœur. Cela explique aussi sa quête de validation envers Silco, qu’elle considère presque comme un père. L’idée est toujours de combler le manque irréversible crée par le traumatisme de la jeune Powder, d’où les décisions souvent contradictoires de Jinx qui révèlent un esprit hanté, habité par le passé.


Jinx est la personnification du lien intime entre traumatisme et folie. Son état mental se dégrade principalement à cause de l'absence de soutien et du manque de reconnaissance émotionnelle, de par une solitude profonde, un renfermement sur ses angoisses. Elle est également victime de l’influence de Silco, qui l’entraîne dans un cercle vicieux de violence et de vengeance, exacerbant sa folie, et d’ailleurs, il ne cesse de la manipuler d’une certaine façon en jouant sur ses failles qu’il connaît si bien. Cette idée trouve un écho dans les travaux du sociologue Emile Durkheim, qui a pu étudier le lien entre déracinement social et pathologies mentales. L’isolement social conduit à une forme de désintégration psychologique. Jinx en est malheureusement un exemple flagrant.

Mais, sa folie se transforme à la fin de la saison 2. Elle devient un symbole de révolte, et aussi de résilience en décidant de se battre contre Ambessa, et surtout, en sauvant sa sœur Vi, sacrifiant sa vie pour la sienne. Au moment où Jinx décide de disparaître, Ekko apparaît et lui dit qu’elle peut faire de son traumatisme quelque chose de beau, qu’elle a le plein pouvoir de le transformer. En reprenant sa vie en main, Jinx fait de la douleur un symbole de résilience, de force et de courage, voire même de sacrifice par amour pour sa sœur, passant d’un antagonise de taille à la véritable héroïne d’Arcane.


Vi : La folie sous l'angle de la répression


Maintenant, nous passons à Vi, la sœur de Jinx qui représente, vous allez voir, un autre aspect de la folie dans Arcane. Contrairement à Jinx, Vi semble avoir réussi à garder son équilibre mental, mais c’est en grande partie en réprimant ses émotions, ses douleurs et ses traumatismes.  Vi est marquée par la perte de sa sœur et par la violence qu’elle a vécue dans les bas-fonds de Zaun, mais elle ne sombre pas dans le même type de folie que Jinx. C’est par l’action, le contrôle, une certaine forme de violence et l’alcool qu’elle va extérioriser le traumatisme.



Cette forme de répression est au cœur de la théorie psychanalytique de Melanie Klein, qui a travaillé sur la notion de mécanismes de défense. L’individu peut se protéger du désespoir et de la folie en réprimant le traumatisme, créant ainsi une sorte de réalité plus contrôlable. Il existe plusieurs mécanismes de défense, Freud en a théorisé certaines, mais dans le cas de Vi, on pourrait dire que sa quête de maîtriser son monde et ses émotions, illustre ce processus de répression des désirs et de la souffrance, ce qui, paradoxalement, peut devenir une forme de folie à part entière. Elle s’engage pour Piltover et maintenir la paix, presque dans un élan de contrôle des événements vécus dans Zaun, ce qui crée une dichotomie entre ses valeurs et son passé de criminelle. On est dans une quête d’équilibre, poussée parfois à l’excès, ce qui explique peut-être ses addictions.

Vi, dans un sens, incarne cette idée de folie répressive où l'individu refuse de faire face à ses blessures émotionnelles, se condamnant à un combat constant avec ses propres démons. Or, Carl Jung évoquait l’importance de dialoguer avec nos parts d’ombre, peut-être ce qu’elle arrive à faire en renouant avec Jinx au fil de la saison 2, je cite : Carl Jung nous apporte une certaine réponse, je cite : « Mettre l’homme en face de son ombre cela veut dire aussi lui montrer sa lumière. Il sait que l’ombre et la lumière font le monde… S’il voit en même temps son ombre et sa lumière, il se voit des deux côtés et ainsi il accède à son milieu. »

De même, à la fin de la saison 2, Vi face à Vander réactive son traumatisme de sa perte, la paralysant face au danger. C’est une esquisse de son déni qui se dénoue, le souvenir est ramené à la vie, ce qui provoque une crise violente, une baisse de ses défenses et l’empêche littéralement de se battre jusqu’à ce que Jinx lui sauve la vie. Sa vulnérabilité est touchée, le contrôle ne la protège plus de la douleur reprimée.

 

 Silco : la folie du pouvoir


Un autre personnage clé dans cette exploration de la folie, et nous en avons déjà parlé, c’est Silco qui est un des antagonistes de la série, malgré la complexité de son positionnement car Arcane n’est pas une œuvre manichéenne. Tous les personnages ont des failles plus ou moins ouvertes qui les atteignent et atteignent aussi leur entourage. Silco incarne un type de folie politique et idéologique, ce qui diffère de ce qu’on a pu voir avec Jinx et Vi. Il est obsédé par une certaine quête du pouvoir, par une vision de monde particulière, née de ses propres traumatismes en vivant à Zaun. Il est un révolutionnaire dont les idées peuvent vriller, notamment par sa soif de vengeance et son désir de contrôle hérité lui-même d’un manque de contrôle de par sa classe sociale. On pourrait consacrer un épisode entier au fait qu’Arcane est une série qui évoque les luttes sociales avant tout, et Silco en est une voix terriblement vibrante.

Le concept de la folie de Silco peut être éclairé par la réflexion de Michel Foucault sur le pouvoir et la folie dans son ouvrage Histoire de la folie à l'âge classique. Foucault explique que la folie, dans les sociétés modernes est un produit de relations de pouvoir. Silco incarne donc cette folie idéologique, où le pouvoir politique est une forme de domination psychologique. Son désir de contrôler Zaun, tout en manipulant Jinx, montre comment la folie peut se manifester dans des structures de pouvoir qui asphyxient les individus.

D’un autre côté, George Orwell, avec son œuvre 1984, a exploré comment les régimes totalitaires, comme celui que Silco mène dans la série, peuvent fragiliser la raison collective et transformer, malheureusement, la folie en système – ce qui en fait pas bon ménage, car elle impacte non seulement celui qui en souffre, mais aussi une société tout entière. Silco, en manipulant ses partisans et en exploitant les faiblesses de Jinx, dont la relation est ambiguë puisqu’on peut tout de même ressentir qu’il la considère comme sa fille, incarne cette dynamique de soumission mentale par la violence. Silco devient à la fois un fort symbole de révolte, et de décadence, un schéma que Jinx brisera en transformant sa folie en force à la fin de la saison 2 puisqu’elle agit comme une héroïne, se sacrifiant pour que sa sœur vive. Jinx incarne alors celle qui détruit le schéma qui avait été écrit au préalable pour elle – notamment par son alliance avec Silco.

Au final, Arcane nous présente la folie non pas comme un état de santé mentale isolé, mais comme une réaction complexe aux souffrances, aux traumatismes et aux déchirements internes des personnages qui luttent contre elle, ou apprennent tout simplement à l’apprivoiser. Jinx, Vi et Silco sont des humains profondément blessés, fracturés qui tentent de survivre dans un monde qui les rejette indirectement. Bien évidemment, ils ont tous une approche différente de leur folie, montrant le large spectre d’influence d’un traumatisme sur un être humain.


Mais la beauté d’Arcane réside dans la manière dont chacun repense sa propre folie, dont chacun laisse place au traumatisme pour le contrôler ou, au contraire, le rendre plus fort. Je vous conseille fortement de regarder Arcane, une série fascinante, et je vous dis à très bientôt sur ConstellationMag, n’hésitez pas à nous lire, mais aussi à intervenir en tant que rédacteur si vous le souhaitez.

 

A très bientôt...


Un Podcast de Manon LOPEZ.

 

 

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