Le 21 mai dernier s’affrontaient sur scène, à Paris, deux poids lourds de la musique contemporaine new-yorkaise : d’un côté le punk de Brooklyn Malice K, — originaire de la côte est des US — avec ses morceaux sur l’amour, le chill et la défonce ; de l’autre, The Dare, costume Gucci, electropop hypersexualisée et personnification du glamour décadent de Manhattan. N’ayant le don d’ubiquité, j’ai choisi de me rendre au concert du second, parce que ma garde-robe collait plus à la sienne. Un choix vite fait, bien fait. Paré de noir, veste en cuir sur le dos et cigarette à la bouche, j’ai donc pu, à 21h, écouter un micro-set d’une vingtaine de minutes, conçu pour les fins de nuits, donné par un mec visiblement éclaté mais au charisme indéniable, et sortir dans la nuit à peine naissante à la fois ébahi et frustré par ce que j’avais vu.
Une filiation sans ambiguïté
The Dare, c’est le projet solo d’Harrison Patrick Smith, kid de L.A., ancien guitariste du groupe Turtleneck — groupe originaire, comme Malice K, du Pacific Northwest, comme par hasard. C’est un projet qui est basé sur deux choses : New York et l’héritage de LCD Soundsystem. En somme, c’est donc un projet basé sur une seule chose : LCD Soundsystem, le plus new-yorkais de tous les projets de dance des années 2000. Chacune des tracks du disque What is Wrong with New York nous le rappelle. Du single Girls au beat lancinant d’Elevation: The Dare a retenu la leçon de Sound of Silver et autres This is Happening. Mais s’il a compris le jeu musical de James Murphy et sa clique, Smith n’a pas son talent de lyriciste. Ou peut-être que notre époque se doit de se trouver un nouveau langage ?
Le son d’un temps irrévolu
La question que nous pose The Dare, et ce dès son premier single Girls sorti en 2023, est la suivante : on fait comment pour faire la fête après le covid-19, est-ce qu’une pandémie peut tout balayer ? La réponse est « Comme avant en pire/mieux, non ».
Avec des paroles hédonistes, outrancières et sacrément explicites — parfois à la limite de la misogynie comme dans Girls « I like girls who make love but I love girls who like to fuck » — The Dare explore les relations humaines à bras le corps. Et ses banalités seraient risibles si les évidences n’avaient pas parfois la richesse de l’aphorisme. En témoigne le premier vers du morceau Sex issu de l’EP éponyme paru plus tôt cette année : « Sex […] it happens all the time ». Truth.
Mais Harrison Patrick aborde aussi, tout au long du disque, des problématiques plus profondes au sein de l’Amérique de 2024, en filigrane, jamais aussi frontalement que le cul. Parmi elles, les drogues évidemment – plus de 107 000 personnes sont décédée l’année passée aux US du fait de ce qu’on nomme désormais l’épidémie des opioïdes, et l’atmosphère du disque n’est pas sans faire écho à cette situation.
Alors les beats sont ici pour danser et oublier les problèmes. La seule question qu’on se pose quand on écoute What is wrong with New York? c’est celle de savoir avec qui on va rentrer ce soir. Il n’y rien d’autre, il y a une salle, la musique, les corps. Le monde disparait sous le son et la jeunesse, tout ce qui n’est pas LÀ est balayé. La musique que conçoit Harrison Patrick Smith est, en quelque sorte, l’équivalent musical d’une série US des années 2000 qu’on regarde sans trop réfléchir un dimanche après-midi pluvieux. Elle réconforte, nous rappelle de vagues souvenirs, et nous permet de nous évader. Ça fait du bien ces histoires de soirées, de drogues, de coucheries. Un vrai teenage drama. Ce disque peut aussi être la bande son de vos plus grosses soirées. C’est ce dédoublement qui fait sa force.
New York I love you but You’re Bringing me down
Pourtant, ce premier opus est aussi et surtout une réflexion sur le new York contemporain. Si le titre ne vous avez pas mis sur la voie, je ne peux rien pour vous. On peut y voir une étude sur le fait d’être jeune dans une mégalopole. Là où James Murphy et LCD Soundsystem rappelaient combien New York était une ville dure à vivre après le 11/09, The Dare nous raconte combien elle l’est après la pandémie. Mais il nous rappelle surtout qu’il existe des échappatoires, parce que ce disque bachique est paradoxalement empli d’espoir, même si son créateur affirme avoir tué la Disco dedans. Ce disque est d’ailleurs celui de la réussite, son créateur étant désormais l’une des égéries de Gucci, et l’un des producteur les plus en vogue de la hype new-yorkaise, ayant récemment remixé l’un des titres du plus gros disque de l’année, le Brat de Charli XCX à la demande de cette dernière. En somme, l’année 2024 est une consécration pour The Dare.
Il est marrant de noter que cet album est sorti au même moment que le premier effort studio de Malice K sur Jagjaguwar. Je ne saurais dire qui a gagné la bataille. Mais si je devais résumer le disque de The Dare, je dirais que c’est celui qu’aurait sorti Chuck Bass s’il avait été musicien. À vous de voir si ce verdict est péjoratif ou pas.
Un article de Rafaël DEVILLE.
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