Ce récit de vie nous a été raconté par Marion, sous la dictée d’Abigaïl
Je m'appelle Abigail, j'ai 28 ans, le voyage fait partie de ma vie et j'ai été diagnostiquée d'un Trouble de la Personnalité Borderline. Le Trouble de la Personnalité Borderline est vécu différemment par chacun. Chez moi, il y a une problématique de trouver ma place et rechercher un but, qui pour moi est crucial. Ce trouble est caractérisé par des poussées extrêmes, je me considère comme une personne binaire : tout est noir ou blanc, sans nuance. L'image que j'ai de moi est distordue : un coup je suis la « parfaite », un coup « la monstrueuse » qui ne mérite pas d'exister sur Terre et qui ne fait que du mal autour d'elle. Je suis beaucoup dans l'hyper : hypersensible, hyperémotive, hyperimpulsive... J'ai toujours eu une personnalité compliquée, une écorchée vive sur fond de mélancolie. Lorsque j'étais adolescente, j'étais dans l'autodestruction. J'aime dire que j'ai un bac +10 en auto- sabotage de relations. Me sentant toujours en décalage, j'ai ce que j'appelle « le syndrome du vilain petit canard » : les autres y arrivent, les autres sont conformes, et moi non.
Diplômée d'une licence en finance, j'ai commencé par travailler pendant un an en banque. Cette expérience m'a valu des crises d'angoisse fréquentes. Ce n'était pas la peine de passer les 40 prochaines années de ma vie dans cette situation. Complètement perdue, j'ai quitté mon travail pour enchainer des jobs alimentaires et partir voyager une fois accumulé suffisamment d'argent. C'est ainsi que je suis tombée amoureuse de l'Amérique Latine.
En rentrant de ce voyage, j'ai repris un job alimentaire en tant qu'hôtesse d'accueil standardiste dans une grosse entreprise. Ma santé mentale s'est alors fortement dégradée, je suis tombée dans un état dépressif. J'ai compris, avec le temps, que lorsque je suis dans un mode de vie qui ne me convient pas, je finis en effondrement émotionnel à cause d'une trop grande sur-adaptation.
Le voyage a toujours été pour moi une fuite assumée. Je pars pour me retrouver, me détacher des attentes de la société.
En novembre 2020, j'ai fait une énième tentative de suicide. Entrée en urgence psychiatriques, j'ai fini à l'hôpital psychiatrique. A ce moment, j'avais touché le point de non-retour, j'étais au fond du trou. C'est la première fois où les choses prenaient de telles proportions.
Durant cette hospitalisation, j'ai été diagnostiquée borderline. J'avais super peur. Qu'allait-devenir ma vie ? La première partie de cette dernière a été une lutte. Comment j'allais réussir à avoir une vie épanouie ? Rien n'était encourageant pour mon avenir.
J'ai commencé une thérapie de groupe pour les personnes borderline, j'ai alors trouvé ma place. J'ai compris la force du collectif et du savoir expérientiel des autres patients. J'ai trouvé ma case, au milieu de ces gens qui ne rentrent dans aucune. Pour la première fois, j'avais un groupe d'appartenance.
Pendant un an, je me suis investie en thérapie, tous les jours à l'hôpital. Pour moi, la thérapie est un processus courageux et pas facile. Je n'avais jusqu'alors pas les codes pour fonctionner, personne ne nous a appris à relationner entre êtres humains. Ce qu'il faut comprendre c'est que personne ne nous a jamais appris à agir autrement. Nous devons rééduquer tous nos schémas de pensées.
Cette période a été éprouvante, tout comme trouver un bon psychiatre ou la bonne médicamentation pour m'aider dans mes phases dépressives. Je rappelle qu'il n'y a pas de traitements pour le trouble borderline. Cependant, on a la chance que cela soit un trouble bien identifié, avec des thérapies prouvées, comme les Thérapies Cognitives et Comportementales dans lesquelles figurent, par exemple, la thérapie dialectique ou celle des modes de schémas.
Parallèlement, j'ai repris mes études pour devenir sophrologue. Je n'avais donc, durant cette année, pas le temps pour les voyages, mon objectif premier étant ma santé mentale, un investissement sur mon bien-être et mon avenir.
Puis, après 2 ans de thérapies intensives et de CDD renouvelés, j'arrivais au bout de la possibilité de ces renouvellements. Mon emploi s'est arrêté, et je savais que dans 1 mois je rentrerai à l'hôpital psychiatrique pour la troisième fois, dans le cadre de ma thérapie de groupe. Là, je me suis dit « tu sais quoi ? J'ai un mois de libre, et quoi que je fasse, je vais à l'hôpital. Alors, autant réaliser mon rêve ».
Cela faisait trop longtemps que ma vie tournait autour du Trouble de la Personnalité Borderline, j'étais « la patiente », « la malade », mais qui étais-je en dehors de ça ?
Le voyage est mon moyen de réparation. Je suis une inconnue, une étrangère, je peux être qui je veux, c'est comme une ardoise magique qui peut tout effacer. Alors, 3 jours après cette réflexion, je pris mon sac à dos, tendit mon pouce, et me voilà en quête des aurores boréales. Je ne voulais pas attendre 10 ans, avoir 10 000 euros sur mon compte en banque pour réaliser mes rêves.
Je pris une pancarte sur laquelle j’ai écrit : “Be the change you want to see in the world.” Lors de ma première hospitalisation, j'avais lu cette phrase, tout en étant hyper abattue par le monde : le réchauffement climatique, la guerre, la pandémie de la Covid 19... Je m'étais alors dit : « C'est ça la solution ! Ne pas espérer que le monde change. Mais moi, Abigail, je peux incarner le changement que je veux voir dans le monde ».
Je partis alors de Lille, avec mon sac à dos et ma pancarte avec comme objectif d'aller voir les aurores boréales en Laponie, en autostop, avec le moins de budget possible. A l'époque, je n'avais pas le code la route, je ne comprenais donc rien aux panneaux. Nous étions en plein mois février, à Lille, la météo était chaotique et désastreuse. J'attendais seule, sous la pluie, le vent, j'ai failli abandonner dès la première ville. Je n'avais dit à personne mon projet, pour que personne ne le sache si j'échouais. J'ai compris plus tard que l'autostop est une discipline qui s'apprend, que tout est une question de placement. Le site internet HITCHWIKI, qui répertorie les placements idéaux, m'a beaucoup aidé.
J'ai réalisé que j'avais moi-même des stéréotypes sur l'autostop. Par exemple, lorsque je me retrouvais bloquée dans des stations services, spontanément je ne me dirigeais pas vers des familles ou des personnes âgées, pensant qu'ils ne me prendraient jamais car ce sont des personnes plus vulnérables. Pourtant, à la frontière de l'Allemagne et du Danemark, un couple de personnes âgées m'a prise en stop pour un trajet de 10 minutes. Celui-ci s'est éternisé, ils se sont attachés à moi, et le trajet a duré une heure, et s'est transformé en une proposition de dormir chez eux, sans vouloir me quitter le lendemain. Une autre fois, un couple avec un bébé m'a pris dans leur voiture. Je me suis alors aperçue que ce voyage en autostop a été une déconstruction de stigmatisations des deux côtés.
C'est comme ça que me voilà, 2200 kms d'autostop et une vingtaine de voitures plus tard, en Laponie pour une dizaine de jours. J'ai parcouru l'Europe à travers 12 pays, parmi lesquels 7 en autostop et le reste en transports en commun. J'ai beaucoup dormi chez l'habitant grâce à l'application Couchsurfing, et quelques nuits en auberge de jeunesse. Mes plus grosses dépenses du trajet ont été les transports. Je suis depuis lors convaincue que nous pouvons voyager avec un petit budget, et qu'il n'est pas nécessaire d'avoir des 1000 et des 100 pour réaliser ses rêves si on s'adapte et que l'on fait preuve de flexibilité.
Certains s'imaginent que l'impulsivité et l'instabilité sont péjoratives, que les décisions qu'elles font prendre ne sont pas raisonnées. Alors que, pour moi, ces décisions ont changé ma vie. C'est la partie que j'aime dans mon trouble, c'est celle qui me met en action dans certains cas. D'un point de vue thérapeutique, ce voyage a soulagé ma crise identitaire et mon parcours de rétablissement. Chaque matin, je ne savais rien. Je vivais au jour le jour, c'était génial de retomber sur quelque chose de primaire, où mes seules préoccupations étaient de savoir ce que j'allais manger, où j'allais dormir et comment j'allais me déplacer. Je faisais un pas de plus, et ça m'allait. J'espérais toujours avancer, et ça m'allait. Cette philosophie de vie m'a suivie en rentrant, et encore aujourd'hui. Cette mentalité que le voyage a débloqué, se retranscrit dans le quotidien, dans la thérapie, et dans plein d'autres choses... Un pas après l'autre, petit pas par petit pas
Entre vous et moi, à aucun moment, je ne pensais arriver en Laponie. Perplexe et loin de l'objectif, je n'y pensais pas. Quand je suis arrivée, je ne réalisais pas. De base, j'étais à Lille, à pleurer sous la pluie. Tout défile... et je me réveille un matin en Laponie. Là, je m'aperçois que je suis capable de tellement plus que ce que je pensais. En fait, si tu es assez ambitieux pour te lancer, il y a moyen que ça passe. « Je suis derrière le cercle polaire arctique, c'est incroyable », ne faisais-je que de me répéter. Il faisait -25 degrés, je n'avais jamais expérimenté cette température. J'étais hébergée dans une résidence d'étudiants Erasmus, bercée par tant de cultures.
Pour la petite histoire, j'en rigole aujourd'hui, mais je n'ai pas vu d'aurores boréales. C'était horrible : j'étais au bon endroit, à la bonne saison, mais pas au bon moment. J'avais booké un chasseur d'aurores boréales, qui m'a emmené sur tous les spots, mais il ne faisait pas assez froid et il y avait trop de nuages. Ce dernier m'a certifié que si je restais une semaine de plus, c'était sûr que j'allais en voir. Sauf que je devais rentrer en hôpital psychiatrique, à Paris, en autostop.
Le retour en stop n'avait pas la même dynamique. C'était plus fun de s'aventurer en direction des aurores boréales qu'en direction d'un hôpital psychiatrique. Étrangement, j'ai apprécié ce retour. A l'aller, j'étais speed, pressée par l'envie d'arriver en Laponie. Là, je me suis dit « c'est que du kiff, profite de l'expérience avant ta troisième hospitalisation ». J'ai alors savouré chacun des trajets en voitures. Les gens me disaient que ça devait être dur, l'autostop. Pour moi, ce qui était vraiment dur, c'était d'aller à l'hôpital. Tout est une question de perception après tout.
Mon premier message à faire passer à travers mon récit, est de ne pas attendre d'être dans une situation de crise pour demander de l'aide, mais aller vers un professionnel de santé dès les premiers signes, bien qu'il soit plus facile de le dire que de le faire. Mon second message serait de vous dire que ce n’est pas parce que nous avons été diagnostiqué d'un trouble que ce dernier va nous empêcher de vivre la vie que l'on a envie d'avoir. J'ai toujours rêvé de vivre de grandes aventures à travers le monde et je refuse que, parce que j'ai un trouble psychique, ce ne soit pas possible.
La question est : Comment trouver des professionnels de santé qui acceptent de m'accompagner dans mes aventures afin de réaliser mes objectifs et mes ambitions, sans que cela ne mette en danger ma santé mentale ?
Un article de Marion PÉGÉ.
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